« En faveur du service public » : une initiative semée d’embûches

  • Services Publics
Articles

La secrétaire centrale de l'USS en charge du dossier du service public explique dans un interview pourquoi les syndicats refusent l'initiative.

Pas de bénéfices dans le service universel, pas de salaires astronomiques pour les managers, l'initiative semble très sympathique au premier abord.  Du tout, rétorque Dore Heim, responsable de ce dossier à l’USS. Cette initiative affaiblit les grandes entreprises de service public sans se soucier le moins du monde des conditions de travail.

USS-Infos : Pourquoi ce NON abrupt de l’USS à l’initiative « En faveur du service public » ? Un service universel sans bénéfice ni subventionnement croisé d’autres secteurs, c’est bien, non ? Plus besoin de fermer des offices postaux, et qui plus est, les prestations des CFF, de La Poste et de Swisscom seront moins chères.

Dore Heim : Les syndicats n’ignorent pas les défaillances dont souffrent ces entreprises. Avant tout, c’est la volonté de maximiser les profits qui pose problème. Dans plusieurs secteurs, le personnel est sous pression. C’est notamment le cas – malgré les correctifs apportés récemment – des employé-e-s sous contrat de durée déterminée…

Mais alors, pourquoi ne pas travailler main dans la main avec les auteurs de l’initiative ?

Nous avons étudié l’initiative dans le détail, puis longuement débattu avec les auteurs du texte, et enfin mandaté une expertise indépendante. Après cet examen minutieux, nous sommes en mesure de dire que ce projet affaiblit énormément le service public, et cela sans pour autant remédier aux insuffisances que nous pointons du doigt. Car le texte de l’initiative est semé d’embûches. Il cible directement les trois grandes entreprises du service public et vise clairement à compromettre la bonne marche de leurs affaires.

Comment cela ?

L’initiative ne dit pas explicitement si les entreprises auront encore le droit de faire des bénéfices. Si l’initiative est interprétée de façon restrictive, le trafic longue distance de voyageurs, par exemple, très lucratif à l’heure actuelle pour les CFF, ne pourrait plus à l’avenir leur rapporter de bénéfices à investir dans des secteurs moins rentables. Du moins c’est controversé… Ce qui est sûr, c’est que le versement des bénéfices de La Poste et de Swisscom à la Confédération ne serait plus possible. Celle-ci verrait donc chaque année 600 millions de francs lui échapper, ce qui entraînerait des mesures d’austérité dans d’autres secteurs du service public : au personnel de l’administration d’en payer le prix. Par ailleurs, il est tout à fait évident que Swisscom ne pourrait plus distribuer de dividendes. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Que la Confédération paierait tous les actionnaires privés ? En serait-elle capable ? Rien n’est moins sûr. Il est bien plus vraisemblable que la Confédération se retire de Swisscom. Un bel autogoal pour le service public ! Je le dis sans détour : Notre but n’est pas d’affaiblir ces trois grandes entreprises. Au contraire, nous voulons que les conditions de travail et les prestations de ces entreprises s’améliorent. Or, le texte de l’initiative ne dit rien à ce sujet.

Mais on y trouve au moins l’indication que les salaires versés par ces entreprises seraient ajustés sur ceux de l’administration fédérale. En d’autres termes : terminés les salaires abusifs des top managers. L’USS devrait s’en féliciter, non ?

S’il ne s’agissait que des salaires des managers, nous approuverions le texte sans hésiter. Mais l’initiative précise : les salaires « versés aux collaborateurs ». C’est-à-dire tous les collaborateurs, et pas seulement les chefs. L’ajustement par rapport à l’administration fédérale ne serait pas dramatique non plus, parce que les écarts ne sont sûrement pas énormes. Mais c’est ailleurs que le bât blesse. En effet, les négociations salariales entre partenaires sociaux, habituelles dans les trois entreprises aujourd’hui, disparaîtraient demain. Car les salaires seraient indexés à ceux de l’administration fédérale. Par conséquent, le Parlement déciderait si, oui ou non, il doit y avoir des hausses salariales annuelles dans ces trois entreprises. Dans les faits : les syndicats seraient catapultés hors des négociations salariales. Autant de raisons qui nous font dire NON à cette initiative.

Top