Les œillets de mai

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Écrit par Werner Wüthrich

Werner Wüthrich : Une contribution littéraire au 1er Mai 2010

 

I         
Lorsque j’étais jeune, ma mère, qui aimait les fleurs, disait de temps en temps que, dans la vie, il faudrait beaucoup plus souvent les laisser parler. À l’époque, je n’ai jamais compris pourquoi les fleurs devaient pouvoir parler.

Des années plus tard, lors d’une discussion avec mes parents, j’évoquai le prix de littérature des syndicats « Arbeit und Alltag », qui avait incité beaucoup de gens à se mettre à l’écriture. Au moment du départ, mon père me tendit ses deux mains et remarqua simplement qu’elles avaient travaillé toute leur vie et auraient aussi des choses à raconter. Au service d’autrui comme travailleur ou pour la famille ou, de temps en temps, pour faire le poing dans la poche. Il ajouta ensuite, avec un petit sourire malicieux : - Un écrivain devrait au moins pouvoir faire ça - Faire quoi, dis-je - ça, justement, répondit mon père : amener les mains à dire des choses et les fleurs à parler.

II        
Le 1er Mai en France, lors de la Fête du Travail, on a pour habitude de s’offrir un bouquet de muguet en guise de porte-bonheur. Le muguet devient symbole du printemps, signe de l’éveil, de la joie de vivre et d’un avenir meilleur.

Dans bien d’autres pays, c’est un œillet que l’on porte à la boutonnière et dans les manifestations du 1er Mai. Sur toute la planète, cette fleur est ainsi devenue le symbole de la Fête du 1er Mai et de la journée internationale du Travail.

Dans le monde entier, le 1er Mai, on arbore la couleur rouge. Les travailleurs et les travailleuses organisés ont un insigne rouge sur leur veste, leur chandail ou leur chemise et portent, année après année, les principales revendications de la manifestation sur des banderoles rouges. Il y eut d’abord celle de la journée de huit heures dans les usines, puis celle d’une protection sociale minimale. Aujourd’hui, l’État est aussi un État social, donc une conquête des partis progressistes, des syndicats et des mouvements, qu’il faut défendre.

III      
Si les mains du père désiraient dire des choses et si les fleurs de la mère devaient parler, alors seul - c’est certain - un œillet du 1er Mai pouvait le faire. Je l’imaginai devant moi : un peu stylisé ou dans le style gravure sur bois, tenu par une main, en pleine floraison et de la couleur du 1er Mai. Et parce que la main tient la fleur de l’oeillet, tendre, fraîche et inaltérable, elle est aussi un poing.

Voilà ! Tout d’un coup cette image se met à parler : l’œillet de mai et la main disent à l’observateur la longue histoire mouvementée de notre 1er Mai. Mais elles ne font pas que parler de ce qui a été vécu et de ce qui s’est passé : une image peut fort bien poser des questions. Sur notre avenir, sur l’avenir du mouvement ouvrier et syndical dans le monde entier, comme sur celui de notre planète.

Clairement, nettement, comme mes parents le souhaitèrent jadis, j’entends cette image de l’œillet du 1er Mai me parler d’une histoire inouïe, jamais racontée à l’école, qui s’est déroulée le 1er Mai 1886 au Haymarket à Chicago. L’origine et le début de la journée internationale du Travail, le 1er Mai; la grève de plusieurs jours aux États-Unis à cette époque; les affrontements violents entre la police et les travailleurs qui manifestaient, et les morts à la clef.

IV      
Cette année, on portera de nouveau la couleur rouge. Des calicots rouges avec le slogan « Arbeit, Lohn und Rente - statt Profit und Gier ! »/ »Du boulot, des salaires et des rentes ! »/« Lavoro, salario et rendite per tutti ! ». En France, à la Fête du Travail, on distribuera du muguet. Dans de nombreux pays, on portera des œillets de mai, des insignes du 1er Mai et d’innombrables drapeaux rouges flotteront sur les manifestations.

Au fond, on en est conscient, l’œillet de mai et sa couleur ne représentent qu’une certaine attitude. Qui, me dis-je, fut en réalité toujours très vivante dans chaque génération et l’emporta constamment sur d’autres attitudes face à la vie. Ce serait donc une attitude de la conscience, allant par le monde l’esprit ouvert et sans dogmatisme. Sans préjugés, mais avec un point de vue toujours clairement défini sur les contradictions sociales, l’évolution humaine et les menaces pour l’environnement. Et un engagement, dans le sens de l’histoire du 1er Mai ou comme l’a dit un penseur connu : la vision du monde la plus dangereuse et celle de qui n’a pas encore commencé à voir le monde.

De cette manière, l’œillet de mai - comme ce souvenir de mon père et ma mère - est devenu porteur de sens, puisque les fleurs, finalement, parlent aussi et que les mains peuvent quand même dire des choses.

Notice bio-bibliographique               

Werner Wüthrich, est né en 1947 à Ittigen près de Berne. Fils d’un fermier, il étudie à l’Université de Vienne le théâtre, la philologie allemande et la philosophie. Depuis 1972, il travaille comme auteur dramatique indépendant et écrivain. Lauréat du prix Doron en 2004. Il est aussi connu comme spécialiste de Brecht, animateur d’ateliers d’écriture et de cours sur le théâtre. 
Ses œuvres récemment publiées sont « 1948-Brechts Zürcher Schicksalsjahr » (Chronos Verlag, Zurich), « Emil Zbinden » (Limmat Verlag, Zurich) et le long récit « Zimmerwald »paru dans l’ouvrage collectif « Die sie Bauern nannten » (Verlag Huber, Frauenfeld).

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

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