Les experts l’affirment : les syndicats ont le droit d’accéder aux lieux de travail

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Écrit par Luca Cirigliano, secrétaire central de l’USS, responsable du droit du travail /f

Colloque juridique de l’USS : une opinion claire

Lors du colloque juridique de haut niveau organisé le 27 juin à Berne par l’Union syndicale suisse (USS) sous l’intitulé « Droit d’accès aux entreprises et à l’information des syndicats », des juristes et des professeurs de Suisse et étrangers ont affirmé que, sous le droit en vigueur, les syndicats ont le droit de rendre visite aux travailleurs et travailleuses sur leurs lieux de travail et de leurs transmettre des informations. Que ce soit dans des bureaux, sur des chantiers ou dans d’autres établissements industriels. Ce qui inclut aussi les moyens de communication électroniques comme l’Intranet. Les employeurs ne peuvent rien contre cette situation juridique claire, même si tous les tribunaux ne s’en sont pas (encore) rendus compte.

Grâce aux exposés d’orateurs et oratrices de premier plan venant de Suisse et de l’étranger, la centaine de participant(e)s à ce colloque a pu se faire une image authentique et correct des droits d’accès aux lieux de travail et à l’information des syndicalistes.

Une situation juridique claire

Marcel Niggli, professeur ordinaire de droit pénal à l’Université de Fribourg et auteur réputé de plusieurs ouvrages de référence sur le droit pénal, a présenté les résultats de l’expertise qu’il a réalisée à la demande et avec le soutien de l’USS. Pour nous, les syndicats, les résultats de cette expertise sont des plus précieux et absolument sans équivoque aucune : les fonctionnaires syndicaux ont le droit d’accéder directement aux entreprises, aux lieux de travail et aux chantiers, et d’y entrer en contact avec les travailleurs et travailleuses. Concrètement, l’accès des syndicats aux entreprises peut, par exemple, prendre la forme d’une distribution de tracts sur le parking d’une entreprise, de la mise à disposition de brochures dans des locaux servant aux pauses, de l’affichage d’informations sur des tableaux prévus à cet effet ou d’entretiens individuels dans l’enceinte de l’entreprise. Mais cet accès peut également se faire via l’Intranet, par exemple pour l’envoi de courriels et d’enquêtes en ligne.

Dans son expertise (téléchargeable en allemand sur le site de l’USS), Marcel Niggli montre que les employeurs ne disposent d’AUCUN droit pour s’opposer à l’accès physique de syndicalistes dans une entreprise, de les frapper d’une interdiction d’entrer dans celle-ci, ni de porter plainte auprès des autorités pour violation de domicile (art. 186 du Code pénal) ! Si, en pénétrant dans l’entreprise, les syndicalistes agissent de manière proportionnée à leur but et ne perturbent pas inutilement l’activité économique, c’est plutôt l’éventuelle plainte déposée « par vengeance » par l’employeur qui aurait un caractère pénal. Si un employeur intente une action pour violation de domicile contre des syndicalistes qui n’ont pas l’heur de lui plaire, cela doit être considéré comme de la contrainte ! Ici, l’État a une obligation de neutralité stricte par rapport aux syndicats et aux employeurs et doit se tenir à l’écart des conflits.

L’expertise du professeur Niggli renforce la position des syndicats : en accédant aux entreprises, les syndicalistes défendent des intérêts légitimes et sont justifiés à agir en conformité avec la loi.

Cette expertise répond aussi à la question de savoir qui pourrait prononcer une interdiction de pénétrer, par exemple, sur un gros chantier avec une entreprise générale et des dizaines de sous-traitants qui se succèdent. Dans ce cas, pour l’entrée dans les baraques de chantier, ce seraient travailleurs eux-mêmes et non leurs supérieurs hiérarchiques, respectivement le patron de l’entreprise générale.

Ancrer l’accès dans le droit

Les exposés de Markus Schefer, professeur ordinaire de droit à l’Université de Bâle, et du professeur Kurt Pärli, directeur du Centre de droit social de la Haute école des sciences appliquées de Zurich, ont établi, en complément aux propos de Marcel Niggli, que les droits d’accès aux lieux de travail et à l’information des syndicats ont déjà une base légale dans le droit suisse en vigueur. Et cela, dans la Constitution fédérale (liberté syndicale selon l’article 28).

Markus Schefer a montré que la liberté syndicale, telle que la garantit cet article 28, déploie un « effet horizontal », à savoir qu’elle ne s’applique pas uniquement à la relation entre État et syndicats, mais aussi à celle entre employeurs et syndicats. Les employeurs sont donc tenus de ne pas limiter l’exercice de la liberté syndicale ! Ils n’ont ainsi pas la possibilité de suspendre par des « interdictions de pénétrer dans leur entreprise » les droits prévus à l’article 28 de la Constitution fédérale. L’obligation de rester neutre faite à l’État mentionnée dans l’expertise du professeur Niggli découle aussi de cet article, et cet État n’a pas à être ravalé au rang de larbin de certains employeurs par les « paragraphes » relatifs à la violation de domicile.

Le professeur Kurt Pärli a aussi montré, sur la base d’un état des lieux et d’une analyse des droits d’accès aux lieux de travail et à l’information, tels qu’ils apparaissent dans le droit suisse du travail et les conventions collectives de travail (CCT), que le droit du travail fixe aujourd’hui déjà ces droits en divers endroits : l’article 15 de la loi sur la participation donne par exemple aux syndicats une qualité pour agir directe découlant des litiges correspondants relevant du droit du travail ; et également l’article 58 de la loi sur le travail, qui octroie aux syndicats une qualité pour recourir directe en cas de non-respect des dispositions en matière de sécurité et de protection de la santé au travail. Et lorsqu’il y a qualité pour agir des syndicats, ceux-ci ont aussi le droit de pénétrer dans l’entreprise et de récolter des informations et des éléments de preuve en vue d’une éventuelle plainte.

En résumé, les syndicats ne baisseront pas la garde et informeront !

Les résultats de la clarification juridique apportée par le colloque de l’USS font apparaître que le droit suisse en vigueur donne aux syndicalistes des droits d’accès aux lieux de travail. Et cela, directement sur la base du droit constitutionnel, c’est-à-dire de la liberté syndicale prévue à l’article 28 de la Constitution fédérale, ainsi que, directement aussi, sur la base du droit du travail : articles 15 de la loi sur la participation et 58 de la loi sur le travail. À l’avenir ces dispositions devront avoir plus de retombées dans les CCT et y être fixées. À cet effet, l’USS va s’engager pour des bonnes pratiques en matière de CCT à l’intention des partenaires sociaux.

L’expertise du professeur Niggli établit aussi que les employeurs récalcitrants n’ont aucun moyen juridique pour se défaire de syndicalistes critiques et peu appréciés par eux en prononçant des interdictions de pénétrer dans leurs entreprises et en déposant plainte au pénal pour violation de domicile. La plupart des autorités le savent et n’entrent pas en matière sur de telles plaintes. Malheureusement, cette base légale à vrai dire claire ne s’est pas encore imposée dans tous les tribunaux. C’est pourquoi l’USS s’appliquera demain encore à faire connaître cette conclusion de son colloque juridique auprès des juristes ainsi que du public.

Responsable à l'USS

Luca Cirigliano

Secrétaire central

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Luca Cirigliano
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