Les contingents ne protègent de rien du tout !

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Écrit par Daniel Lampart, économiste en chef de l'USS/fq

Pourquoi renforcer, et non affaiblir, maintenant la protection des salaires


Daniel Lampart, économiste en chef de l’USS, nous explique pourquoi les salaires doivent être mieux protégés en Suisse[1]. Des politicien(ne)s de l’UDC demandent déjà le démantèlement des mesures d’accompagnement. Une politique qui serait catastrophique pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses, met en garde Daniel Lampart.

Et tout à coup, l’UDC se saisit aussi du thème des pressions sur les salaires. Tout à coup, elle éleva son initiative « Contre l’immigration de masse » au rang de protection contre la sous-enchère salariale. Avant la votation déjà, nous avions mis en garde, nous les syndicats, contre le renforcement de la pression sur les salaires et les emplois qu’entraînerait cette initiative. Ou, comme le disait un collègue : « L’initiative de l’UDC a presque autant à voir avec la protection des salaires et des emplois qu’un crocodile avec un hamster. » Pire encore, l’acceptation de cette initiative montre que s’il en va selon la volonté de l’UDC, les actuelles mesures de protection des salaires vont même disparaître.

Tout à coup, l’UDC dévoile ainsi son vrai visage, celui d’un parti hostile aux salarié(e)s. Par exemple, l’UDC grison Heinz Brand demande maintenant l’abolition des mesures d’accompagnement. Et le directeur radical-libéral de l’Union suisse des arts et métiers, Hans-Ulrich Bigler, s’imagine facilement faire des affaires sans ces mesures, mais avec des contingents, contrairement à de vastes pans de ces PME qui constituent pourtant sa base.

Or, une Suisse avec une protection des salaires et des emplois moindre, ce ne serait pas une bonne chose. De fait, cette protection est déjà lacunaire. C’est pour cela que notre pays a besoin de mesures d’accompagnement renforcées, et non affaiblies. Et d’autant plus, après le oui à l’initiative isolationniste de l’UDC.

Des Chinois sur les chantiers ?

L’initiative de l’UDC veut revenir à une économie basée sur des contingents. Mais, en l’absence de la protection garantie par des mesures d’accompagnement, ceux-ci ne protègent aucunement les travailleurs et travailleuses. Prenons un exemple : si la construction avait droit à des contingents de 20 000 unités, sans prescriptions spéciales, les entrepreneurs pourraient théoriquement engager 20 000 Chinois pour des salaires bon marché. Les travailleurs et travailleuses présents en Suisse n’aurait alors plus aucune chance sur le marché de l’emploi. Et leurs salaires subiraient des pressions.

S’il est vrai que l’initiative de l’UDC veut que le Conseil fédéral décide de l’attribution des contingents, la réalité sera différente, comme nous l’ont appris les années 1990. À l’époque, il y avait des contingents en Suisse. C’était les milieux économiques qui faisaient alors pression sur le Conseil fédéral pour pouvoir recruter à l’étranger toute la main-d’œuvre dont ils avaient besoin.

C’est tout sauf un hasard si l’immigration n’a plus jamais été aussi forte qu’en ces temps. Mais au-delà des contingents, les employeurs sont aussi allés chercher dans le pays une main-d’œuvre au noir. Par exemple, pour l’agriculture. Ces saisonniers recrutés au noir n’ont même pas été recensés dans les statistiques officielles.

La sous-enchère salariale s’envole

Avant l’introduction de la libre circulation des personnes et des mesures d’accompagnement, la sous-enchère salariale était un phénomène très répandu. Aucun contrôle n’était de fait réalisé dans les entreprises. Selon une étude de l’Université de Genève, un saisonnier recevait, pour un même travail, un salaire de presque 15 % inférieur à celui d’un Suisse. Les salaires des frontaliers et frontalières aussi étaient inférieurs à ceux des Suisses et Suissesses. La situation ne s’est améliorée qu’avec les mesures d’accompagnement, les contrôles des salaires et les amendes.

Aujourd’hui, les cas de sous-enchère s’envolent. Raison pour laquelle, les salaires des frontaliers et frontalières se sont aussi améliorés ces dernières années. Ce qui n’a pas une influence positive uniquement pour eux, mais également pour les travailleurs et travailleuses indigènes, dont les salaires sont alors moins sous pression.

L’UDC contre la protection des salaires

La libre circulation des personnes avec l’Union européenne (UE) a eu pour effet que les employeurs de Suisse ont d’abord été chercher de la main-d’œuvre dans des pays où les salaires et les conditions de travail sont comparables à ceux de Suisse, comme par exemple l’Allemagne. Cela aussi pourrait changer si l’UDC s’imposait. En effet, son initiative isolationniste ne dit rien sur cette question. Elle laisse les entreprises recruter de la main-d’œuvre dans les pays de leur choix.

Le politicien et patron UDC Felix Muri et Heinz Brand, autre politicien UDC, veulent déjà du personnel asiatique pour le secteur de la santé et des soins. Selon eux, des Chinois(es) et des Philippin(e)s devraient travailler dans les hôpitaux et EMS suisses. Pour des salaires certainement très inférieurs à ceux qui sont versés actuellement dans cette branche où, conséquence logique, la pression sur les salaires ira s’accentuant.

La protection des travailleurs et travailleuses a toujours été une épine dans le pied de l’UDC. Le parti de Christoph Blocher s’était opposé en son temps aux mesures d’accompagnement. C’est pourquoi il fera en sorte que, après le 9 février aussi, les patrons puissent recruter à l’étranger autant de main-d’œuvre qu’ils voudront. Le jusqu’au-boutiste UDC Luzi Stamm propose déjà que le Conseil fédéral puisse exclure la main-d’œuvre frontalière des contingents… alors que l’initiative de son parti demande exactement l’inverse.

Les accords bilatéraux sont nécessaires

Nous les syndicats, nous nous battrons contre le démantèlement de la protection des salaires. Les mesures d’accompagnement doivent être renforcées, pas affaiblies. Nous n’accepterons pas non plus que la position de la main-d’œuvre indigène qui ne dispose pas d’un passeport suisse se dégrade. Nous lutterons contre l’introduction d’un nouveau statut de saisonnier dont les conséquences seraient aussi catastrophiques pour les salarié(e)s suisses, car leurs salaires se retrouveraient comme autrefois sous pression. C’est pourquoi nous nous engageons pour la poursuite des accords bilatéraux avec l’UE. Sans eux, les salaires et les emplois du secteur de l’exportation seraient menacés. Et les vendeuses ou les peintres en pâtiraient finalement aussi. Petit pays, la Suisse crée une grande partie de sa prospérité en commerçant avec l’étranger. Et cela ne changera pas.


[1] Article publié dans le journal work du 7 mars 2014.

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

031 377 01 16

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