Lacunaire, la législation suisse doit être améliorée

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Écrit par Jean Christophe Schwaab

La crise bancaire et les tragiques événements de la maison de retraite « Paradies » à Zurich rappellent à quel point il est important que des faits répréhensibles (de la mal-traitance à la protection des délinquants fiscaux) commis à l’intérieur d’une entreprise soient signalés à l’employeur, aux autorités, voire, si ni employeur ni autorité ne pren¬nent des mesures, au grand public. Malheureusement, le droit suisse, contrairement aux législations de la plupart des pays développés, est bien lacunaire à ce chapitre...

La Suisse protège fort mal les salarié(e)s qui signalent de tels faits. Ils sont en effet sou­vent licenciés, car leur employeur considère qu’en signalant ces faits, ils violent leur de­voir de fidélité. Et, même lorsqu’ils finissent par obtenir gain de cause, ce n’est qu’après de longues années de procès, qu’ils ont dû assumer seuls, tout en ayant été parfois stig­matisés comme « traîtres » dans leur propre branche. C’est ce qui est arrivé à un employé de banque tessinois dans un cas récemment jugé par le tribunal fédéral. Un autre do­maine où une meilleure protection contre le licenciement en cas de signalement de faits répréhensibles est celui de la santé. En effet, le personnel soignant est souvent le premier à remarquer les mauvais traitements que subissent les pensionnaires de homes ou maisons de retraite. C’est d’autant plus important si les personnes concernées sont trop âgées, malades ou handicapées pour se plaindre ou n’ont pas de proches qui pourraient interve­nir. Malheureusement, les employé(e)s qui dénoncent ces mauvais traitements perdent souvent leur emploi, et sont même parfois mis sur une «liste noire» de personnes à ne pas réengager. De nombreux syndicats, notamment le SSP Vaud, se battent d’ailleurs avec vigueur pour améliorer leur situation.

Le conseil fédéral à contre-courant

Le Conseil fédéral avait été chargé en son temps, suite à l’adoption de la motion Gysin (PS/BL), de mieux protéger les whistleblowers contre le licenciement. Cette proposition s’inscrit dans une tendance mondiale à mieux défendre ce groupe de personnes, ainsi que le montre l’exemple de Barack Obama qui en a fait un des points forts de sa campagne et de son mandat. Malheureusement, l’avant-projet du gouvernement helvétique, qui vient d’être mis en consultation, rate largement sa cible. Le Conseil fédéral, s’appuyant sur le dogme de la « liberté contractuelle », se contente en effet d’appliquer la procédure habi­tuelle en cas de licenciement abusif aux travailleurs et travailleuses qui signalent des faits répréhensibles et se font ensuite licencier. Malheureusement, une telle « protection » n’a pas d’effet dissuasif sur l’employeur et est donc inefficace. Elle ne donne en effet droit qu’à une indemnité d’en moyenne deux à trois mois de salaire. Et, une fois le licen­ciement prononcé, il ne peut être révoqué, si bien que la personne concernée se retrouve sans emploi, alors même qu’elle défendait un intérêt public légitime. Il faut aussi relever ici que les travailleurs et travailleuses qui signalent des faits répréhensibles se trouvent souvent dans une situation plus précaire que d’autres employé(e)s victimes d’un licen­ciement abusif. Ils ont, comme dans l’exemple évoqué plus haut, beaucoup de peine à retrouver un emploi dans leur branche, car ils n’obtiennent souvent pas de bon certificat de travail. L’employé de banque tessinois concerné, a dû, pendant les quatre ans qu’a duré la procédure, assumer seul les frais de sa défense et affronter des difficultés à re­trouver un emploi à cause de son licenciement, pour n’obtenir au final qu’une indemnité sans grand effet sur son ex-employeur. L’Organisation internationale du Travail (OIT), en acceptant la plainte de l’USS pour violation de la convention 98 sur la liberté syndicale, a d’ailleurs admis que le licenciement abusif au sens de la loi est une protection insuffi­sante.

Cette trop faible protection risque d’avoir pour effet de dissuader les employé(e)s qui remarquent des activités répréhensibles de les dénoncer. En effet, il y a fort à parier que de nombreux whistleblowers potentiels, lorsqu’ils mettront en balance leur propre intérêt (conserver leur emploi) avec un intérêt public incertain, privilégieront nettement le pre­mier. Ainsi, la réglementation proposée risque fort de rester lettre morte.

Le licenciement d’un whistleblower doit être annulable

Pour ces raisons, l’USS a exigé une amélioration concrète de la protection contre le licen­ciement, par exemple en introduisant une possibilité d’annuler le congé sur le modèle de la loi sur l’égalité. Il est en effet indispensable que les salarié(e)s, par nature très bien placés pour découvrir des faits répréhensibles qui se passent sur leurs lieux de travail, puissent les dénoncer sans risquer des représailles. Le Conseil fédéral admet d’ailleurs dans son rapport explicatif qu’une telle protection serait efficace, mais, aveuglé par le dogme de la liberté contractuelle, il a tout de même renoncé à cette possibilité, malgré ses avantages évidents. Pourtant, comme toute liberté, la liberté contractuelle doit pouvoir être limitée quand un intérêt public l’exige. Or, lorsqu’il s’agit de dénoncer des maltrai­tances comme de débusquer des fraudeurs au fisc, l’intérêt public est évident.

 

Responsable à l'USS

Luca Cirigliano

Secrétaire central

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Luca Cirigliano
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