La moitié des salarié(e)s protégés par une CCT

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Écrit par Andreas Rieger

De plus en plus de salarié(e)s sont protégés par une convention collective de travail (CCT) en Suisse. C’est ce que montre la nouvelle statistique à ce sujet. De 1,52 million en 2005, ils sont passé à 1,68 million en 2007 déjà. Ainsi, les conditions de travail de la moitié des salarié(e)s pouvant être assujettis à une CCT sont réglées par un contrat collectif. Un progrès, certes… mais le verre continue d’être à moitié vide.

Durant la crise des années 90, les idéologues néolibéraux, en particulier le président des patrons Guido Richterich, ne considéraient les CCT que comme un modèle à bout de course. Selon lui, elles n’avaient plus qu’une importance limitée pour un nombre toujours plus faible de salarié(e)s de l’industrie et des arts et métiers. L’autre partie — en expansion — de l’économie devait pouvoir se développer en étant « libérée » des contraintes d’une CCT. Cette position, ainsi que le changement structurel intervenu dans l’emploi, a influencé l’évolution réelle du nombre des employé(e)s assujettis à des CCT. Dans la première moitié des années 90, leur nombre n’a cessé de reculer,  jusqu’à se monter à 1,2 million en 1996, soit 45 % des salarié(e)s pouvant être assujettis à une CCT[1].

Graphique 1 : Évolution des salarié(e)s assujettis à une CCT de 1991 à 2007, en milliers

Depuis le passage au nouveau millénaire toutefois, les CCT gagnent de nouveau du terrain. En 2007, 1,68 million de salarié(e)s étaient assujettis à une CCT, soit 50 % des salarié(e)s susceptibles de l’être.

La renaissance

Trois raisons expliquent cette renaissance des CCT. La première réside dans la suppression du statut de fonctionnaire à la Confédération et dans de nombreux cantons. Depuis lors, des CCT sont aussi négociées dans le secteur public, à la Poste, aux CFF et chez Swisscom, mais également, par exemple, pour tous les employé(e)s des hôpitaux du canton de Berne.

La deuxième raison est que les syndicats, en particulier Unia et les organisations qui l’ont précédée, ont pris en main la construction syndicale dans le secteur des services privés, depuis le milieu des années 90. Ce qui a débouché sur une série de nouvelles CCT dans le commerce de détail et d’autres branches.

La troisième raison se trouve dans la libre circulation des personnes en provenance de l’Union européenne. Afin d’empêcher la sous-enchère salariale, les associations patronales des branches du marché intérieur étaient prêtes, en collaboration avec les syndicats, à régler les conditions de travail dans des CCT au champ d’application étendu. C’était le cas dans les secteurs de la sécurité privée et du nettoyage, et dans bien d’autres branches artisanales. La déclaration d’extension du champ d’application d’une CCT permet d’assujettir tous les salarié(e)s de la branche concernée. L’augmentation des CCT dites étendues (ou « de force obligatoire) a contribué de manière significative au développement du taux de couverture des CCT.

Graphique 2 : Proportion de salarié(e)s assujettis à une CCT par rapport   
au nombre des assujetti(e)s potentiels.

 

Couverture par CCT en  Suisse

 

Source : Rieger 2009 ; Oesch 2007 + 2008 ; propres estimations pour 2010 sur                 la base des CCT conclues.

Cette renaissance des CCT est sans aucun doute positive et s’est encore poursuivie après la statistique la plus récente de 2007 : depuis lors, la CCT pour le travail temporaire a, entre autres, été négociée et la branche de la coiffure a mis fin à son vide conventionnel, ce qui fait qu’en 2010, la proportion pourrait bien s’établir autour des 52 %.

Les déserts

Néanmoins, le verre reste à moitié plein seulement. Les pays nordiques ou l’Autriche connaissent notamment un taux de couverture des CCT de 80 % et plus. Autour de 50 % des salarié(e)s en Suisse continuent à ne pas bénéficier d’une telle couverture. Seuls quelques-uns de ces « sans-protection » ont une situation suffisamment bonne pour pouvoir se passer de CCT en cas de besoin. Pour les autres, c’est même le contraire, puisque beaucoup de secteurs à bas salaires et à conditions de travail partiellement précaires ne connaissent pas de CCT :

 

  • des dizaines de milliers de salarié(e)s dans le secteur à bas salaire de l’économie domestique et dans les services à la personne (soins corporels, etc.) ;
  • des dizaines de milliers de salarié(e)s dans le domaine du sport, des loisirs et de la culture ;
  • des dizaines de milliers d’employé(e)s dans le secteur de la branche informatique, très instable ;
  • des dizaines de milliers d’employé(e)s dans les assurances ;
  • des milliers de journalistes de Suisse alémanique et du Tessin, dont la CCT a été dénoncée .

Dans d’autres branches, seule une partie du personnel est assujettie à une CCT, alors que des centaines de milliers de salarié(e)s restent sans cette protection :

 

  • dans le commerce de détail, où les grandes firmes Manor, Denner, Aldi, Lidl, Spar, etc. ne connaissent pas de CCT, et tous les petits magasins de détail encore moins ;
  • dans l’industrie, où une partie de la chimie, de l’industrie alimentaire, mais aussi de l’industrie des machines refuse de signer une convention ;
  • dans le domaine des transports, dans le secteur de la santé, etc.

Dans toutes ces branches, le patronat applique le principe du « charbonnier maître chez soi ». Que les travailleuses et travailleurs, avec les syndicats, frappent à leur porte et ils se verront opposer un non sec et sonnant. Cela en Suisse, pays toujours célébré pour son « partenariat social » !

Un salaire minimum garanti

Si 50 % des salarié(e)s susceptibles d’être conventionnés sont assujettis à une CCT, c’est une proportion moindre qui profite de l’existence d’un salaire minimum garanti. Car certaines conventions, comme celle de l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux, ne contiennent aucun salaire minimal, alors que des salarié(e)s (en particulier des femmes) y travaillent pour des salaires bien inférieurs à 4’000 francs !

Pour ces raisons, une commission d’expert(e)s de l’USS examine actuellement la question d’un salaire minimum légal en Suisse.

Les syndicats peuvent donc prendre positivement acte d’une certaine renaissance des CCT ainsi obtenue; mais la revendication d’« une CCT pour toutes et tous ! » n’est encore de loin pas réalité.


[1] Pour calculer le taux de couverture des CCT, le nombre des personnes couvertes par la CCT doit être comparé au nombre global des salarié(e)s susceptibles d’y être assujettis. Cela n’équivaut pas à toutes les personnes employées, puisque ni le propriétaire de l’entreprise, ni les membres de sa famille qui collaborent dans l’entreprise, ni les cadres, ne peuvent être soumis à une CCT, pas plus que les fonctionnaires d’ailleurs.

 

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

031 377 01 16

daniel.lampart(at)sgb.ch
Daniel Lampart
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