La cause n’est pas la libre circulation des personnes, mais une politique qui aggrave la récession

  • Mesures d’accompagnement / libre circulation des personnes
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Écrit par Daniel Lampart

On peut combattre la pression sur les salaires et les conditions de travail en appliquant de manière conséquente les mesures d’accompagnement. Mais contre une politique d’austérité et d’absorption du pouvoir d’achat, qui aggrave la récession, ces dernières ne sont d’aucune utilité.

Avec son dernier rapport consacré aux effets de la libre circulation des personnes sur le marché suisse de l’emploi en 2008 (rapport de l’Observatoire), le SECO a surtout procédé à un aperçu rétrospectif d’une phase de bonne conjoncture. Mais il est très intéressant de connaître l’incidence  de la libre circulation sur l’emploi et les conditions de travail en Suisse durant l’actuelle récession. Le fait est qu’en cas de récession, la pression sur les salaires et les conditions de travail augmente à cause du chômage élevé, ce qui est un phénomène largement indépendant de l’existence d’un marché de l’emploi ouvert ou non. Pour la première fois dans l’histoire de la Suisse cependant, dans l’actuelle récession, nous disposons avec les mesures d’accompagnement d’un instrument qui nous permet de lutter contre cette pression. Les commissions paritaires et les cantons peuvent mettre à jour les cas de sous-enchère salariale et les combattre si elles appliquent de manière conséquente ces mesures.

Toutefois, le danger à proprement parler pour la sécurité de l’emploi et les conditions de travail suisses ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. L’an prochain, la crise risque de s’aggraver dramatiquement à cause de la politique financière des pouvoirs publics. L’État va se mettre à moins dépenser et les caisses-maladie absorberont une part importante du pouvoir d’achat des gens. Cette politique d’austérité et de « vampirisation » de la population amplifiera la récession, et coûtera près de 50 000 emplois si le gouvernement et le parlement ne font rien contre elle.

La mauvaise politique

L’actuelle récession place la politique suisse du marché de l’emploi devant une épreuve difficile. Dans ses prévisions, le Conseil fédéral s’attend, pour 2010, à ce que le nombre des chômeurs et chômeuses dépasse les 200 000. Du jamais vu ! En sont responsables les gouvernements et parlements aux niveaux fédéral, cantonal et communal. Avec la baisse du pouvoir d’achat à hauteur de milliards de francs (hausses des primes maladie, pas de rétrocession rapide du produit de la taxe sur le CO2) et les programmes d’austérité qui se profilent aux plans cantonal et communal, les pouvoirs publics créeront encore plus de chômage au lieu de le combattre.

Avec un chômage important qui touchait près de 100 00 personnes à l’automne 2008. la Suisse a déjà entamé un fléchissement conjoncturel. Lors de la dernière reprise, le chômage ne s’est que faiblement résorbé, alors que, comparativement, le PIB et l’emploi augmentaient fortement. C’est là surtout une conséquence du démantèlement des prestations de sécurité sociale. Ces dernières années, l’âge de la retraite des femmes a été relevé, l’octroi de rentes AI s’est fait plus restrictif et les âges réglementaires donnant droit à une rente de la prévoyance professionnelle ont été relevés. La conséquence en fut qu’en 2007, près de 50 000 personnes de plus qu’auparavant se sont trouvées sur le marché de l’emploi ou à l’assurance-chômage. Par contre, une concurrence sans merci de la main-d’œuvre indigène par des travailleurs et travailleuses de l’Union européenne (UE) ne devrait guère avoir joué de rôle ici. Sous le régime de la libre circulation des personnes aussi, les salarié(e)s de l’UE n’obtiennent d’autorisation de séjour que s’ils ont un emploi en Suisse. Ce qui est en revanche nouveau, c’est que : a) les agences de travail temporaire peuvent recruter du personnel dans l’UE et, b), les entreprises étrangères peuvent travailler en Suisse jusqu’à 90 jours (entreprises détachant de la main-d’œuvre). Le volume de travail fourni ici ne correspond toutefois qu’à 15 000 emplois environ. La levée des contingents appliqués jusqu’en juin 2007 n’a guère influé sur l’immigration, car, par le passé, ces contingents n’étaient dans l’ensemble pas épuisés. Elle a uniquement conduit à un transfert des autorisations pour un séjour durable en autorisations pour des séjours de courte durée.

On a introduit les mesures d’accompagnement pour empêcher que la main-d’œuvre indigène ne soit soumise à une concurrence sans merci et q   ue les conditions de travail ne se dégradent. Avec des contrôles et des sanctions, on peut garantir le respect des mêmes conditions d’embauche par tous les employeurs. Si la main-d’œuvre indigène et celle étrangère doivent être engagées aux mêmes conditions, il vaut alors la peine pour les employeurs suisses de renoncer à recruter du personnel à l’étranger et les entreprises qui détachent des travailleurs et travailleuses en Suisse n’ont pas d’avantage concurrentiel par rapport aux employeurs indigènes.

Par le passé, l’immigration de main-d’œuvre étrangère a rapidement réagi lorsque la situation économique suisse se dégradait, le solde migratoire des années 1996 et 1997 ayant même été négatif. En ce qui concerne la situation actuelle, on remarque déjà la présence d’indices qui laissent clairement entendre que l’immigration devrait fortement reculer. Selon le type de séjour, les reculs oscilleront entre 15 et 30 pour cent. Car, pour la libre circulation des personnes aussi, aucune autorisation de séjour n’est délivrée à une personne dépourvue d’un emploi sur la durée en Suisse. Et si moins d’emplois sont créés, l’immigration diminue obligatoirement.

Des contrôles plus fréquents

De manière générale, n’oublions pas que s’il n’y avait pas de libre circulation des personnes, il n’y aurait pas non plus d’accords bilatéraux avec l’UE. La conséquence en serait que les entreprises suisses d’exportation devraient faire face à encore plus de difficultés pour vendre leur production dans l’UE qu’elles n’en rencontrent aujourd’hui déjà avec l’actuelle crise. Cela étant, la réponse à la question de savoir dans quelle mesure la libre circulation des personnes aura une incidence négative sur la main-d’œuvre étrangère durant la crise dépend essentiellement de l’application des mesures d’accompagnement. Si les autorités ne font rien pour empêcher que les conditions suisses de travail soient respectées, il faut s’attendre à ce que celles-ci se dégradent. Par exemple, la hausse de 20 pour cent du nombre des contrôles promise par le Conseil fédéral lors de l’extension de la libre circulation des personnes à la Roumanie et à la Bulgarie doit devenir le plus rapidement possible réalité. Il faut surtout que les employeurs suisses soient plus souvent contrôlés, parce que ce sont eux qui occupent la majorité du personnel dans ce pays. En outre, il faut édicter avec fermeté des salaires minimaux dans les secteurs où les salaires sont sous pression. Tant la convention collective de travail pour le travail temporaire que le contrat-type de travail dans l’économie domestique doivent être le plus rapidement possible déclarés de force obligatoire pour la totalité des employeurs concernés. Et les nombreuses infractions dans le secteur de la santé et de l’action sociale découvertes en 2007 nécessitent la mise en place de mesures de protection supplémentaires.

L’an prochain, la politique économique et la politique sociale joueront un rôle déterminant pour l’évolution du chômage. Si le Conseil fédéral et les Chambres fédérales persistent dans leur politique d’austérité et d’absorption du pouvoir d’achat, qui amplifie la récession, le chômage augmentera fortement. L’Union syndicale suisse exige par conséquent un train de mesures de relance qui permette de lutter contre le chômage, au lieu d’y faire basculer toujours plus de monde.

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

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