Hausse du nombre des infractions en matière de salaire : les lacunes des mesures d’accompagnement

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Écrit par Daniel Lampart, premier secrétaire et économiste en chef de l’USS

Prise de position de l’USS sur le huitième rapport de l’Observatoire de la libre circulation des personnes

Les Accords bilatéraux conclus avec l’Union européenne (UE) doivent profiter aux travailleurs et travailleuses suisses. Les mesures d’accompagnement ont été mises en place afin d’empêcher que la libre circulation des personnes avec l’UE ne génère des pressions sur les salaires et du chômage. Elles obéissent au principe suivant : quiconque travaille en Suisse doit recevoir un salaire suisse et bénéficier de conditions de travail suisses.

Ces mesures d’accompagnement offrent à notre pays un instrument qui lui permet de contrôler l’immigration de main-d’œuvre. Si le principe à leur base est appliqué de manière conséquente au moyen de contrôles, de salaires minimums et de sanctions, il est possible de protéger les salaires suisses et les employeurs ne peuvent pas engager une main-d’œuvre étrangère bon marché aux dépens des travailleurs et travailleuses indigènes.

Des cas de sous-enchère salariale plus nombreux, mais pas de salaires minimums pour protection

L’application des mesures d’accompagnement reste un problème. L’an dernier, les contrôles ont été moins nombreux, bien que les emplois et l’immigration ont augmenté. Et dans les branches qu’aucun salaire minimum ne protège, un nombre plus grand de cas de sous-enchère salariale ont à nouveau été découverts. Depuis 2009, les taux d’infractions dans ce domaine ont presque doublé, passant de 6 à 11 % environ ! Et la situation ne s’est sans doute pas détendue en 2012. Au contraire : à cause de la surévaluation du franc, les employeurs devraient plus essayer de trouver de la main-d’œuvre meilleur marché à l’étranger. Les branches les plus concernées sont les suivantes : horticulture (taux d’infractions 2011 : 11 %), commerce (de détail) (11 %) et industrie (18 %). La loi (Code des obligations art. 360a) prévoit, en cas de sous-enchère salariale répétée, l’introduction de salaires minimums. À ce jour, seuls des cantons de Suisse latine et, dans deux cas, la Confédération (économie domestique et petites entreprises de nettoyage) l’ont fait. Mais en Suisse alémanique, aucun canton n’a encore édicté de salaire minimum, alors que la situation n’y est pas différente de celle de la Suisse latine.

Il est même possible que le nombre des infractions soit sous-estimé. En effet, les salaires de référence en fonction desquels est établie l’existence d’un cas de sous-enchère salariale sont probablement fixés trop bas dans quelques cantons. C’est par exemple le cas de l’horticulture pour laquelle le salaire prévu par la convention collective de travail (CCT) est nettement inférieur au salaire usuel versés aux horticulteurs et horticultrices en Suisse.

Le foyer de troubles des nouveaux engagements : des signes précurseurs de sous-enchère salariale

Les nouveaux engagements représentent le plus grand risque de sous-enchère salariale. En effet, ils permettent de baisser les salaires sans avoir à dénoncer de contrats de travail existants. Une étude réalisée à la demande de la Commission de gestion du Conseil national a trouvé des indices qui confirment les soupçons des syndicats à ce sujet (Henneberger/Ziegler 2011). Si l’on compare l’évolution des salaires des nouveaux engagements avec celle de tous les salaires, la différence obtenue entre ces deux catégories de salaires entre 2004 et 2010 s’est effectivement nettement accrue. Selon le graphique ci-dessous, cette évolution est particulièrement frappante dans les branches qui ne sont pas protégées par des salaires minimums inscrits dans une CCT, comme le commerce, les transports ou la branche santé et action sociale.

La dérégulation de la branche temporaire dans le cadre de la libre circulation des personnes a probablement aggravé le problème. Contrairement à ce qui était autrefois le cas, les services des frontalières et frontaliers, ainsi que des résident(e)s de courte durée ou soumis à annonce peuvent être loués. De par leur nature, les activités temporaires sont susceptibles de changer souvent. La part du volume de travail effectué par les temporaires au total des heures de travail prestées en Suisse a plus que doublé depuis l’introduction de la libre circulation des personnes, passant de 1 à 2 %. Le risque de sous-enchère salariale dans cette branche est important. Selon le rapport du Secrétariat d’état à l’économie (SECO) sur la mise en œuvre des mesures d’accompagnement, 40 % des agences de travail temporaires ont versé des salaires trop bas.

Lacunes dans la loi suisse - l’Autriche va plus loin

Les mesures d’accompagnement ont des lacunes au plan de la loi, dont des entreprises irresponsables tirent profit pour tourner les dispositions suisses sur les salaires. Les problèmes sont en particulier ceux de l’indépendance fictive et de la sous-traitance en cascade. Avec l’extension à l’Est de l’Europe de la libre circulation des personnes, il est devenu encore plus difficile d’imposer les salaires suisses. C’est pourquoi les mesures d’accompagnement doivent permettre d’imposer les salaires directement en Suisse. Désormais, les entreprises de l’artisanat de la construction doivent verser des cautions, ce qui est un plus. Mais, en cas de sous-traitance en cascade, cet instrument n’est souvent d’aucun secours. Les entreprises qui pratiquent la sous-enchère salariale peuvent se cacher derrière ces chaînes de sous-traitance. Cela ne constitue pas uniquement un danger pour la protection des salaires, mais peut aussi menacer la couverture conventionnelle (par CCT), en cela que le nombre des entreprises présentes dans les organisations patronales diminue au contraire de celui des entreprises louches.

L’Autriche, un membre de l’UE, a renforcé ses mesures d’accompagnement depuis l’extension à l’Est de la libre circulation des personnes. Elle a introduit une responsabilité solidaire. En outre, les entreprises étrangères doivent annoncer les salaires versés avant le début des missions, ce qui facilite les contrôles.

La commission du Conseil national chargée de ces questions est favorable à la responsabilité solidaire et à l’annonce préalable des salaires. Le Conseil des États, par contre, freine l’introduction d’une responsabilité solidaire efficace, entre autres suite à l’intervention du conseiller fédéral Schneider-Ammann.

D’importantes mesures sont toujours requises

Pour que l’immigration soit contrôlée et que les salaires suisses soient garantis, certaines améliorations sont nécessaires. Le nombre des contrôles doit être augmenté, afin de correspondre à l’évolution de l’immigration et de l’emploi. L’actuel plafonnement du nombre des contrôles des entreprises qui détachent de la main-d’œuvre en Suisse est contreproductif. S’y ajoute la surévaluation du franc, qui nécessite un contrôle renforcé des salaires. Si les cantons découvrent des cas de sous-enchère salariale, ils doivent, eux ou la Confédération, édicter des salaires minimums. Le SECO doit, en tant qu’autorité de haute surveillance, résoudre les problèmes d’application des mesures d’accompagnement.

Les lacunes existant au plan de la loi doivent être éliminées. Les mesures contre l’indépendance fictive et les amendes infligées en cas d’infraction aux salaires minimums doivent être rapidement appliquées. La réglementation en matière de responsabilité solidaire adoptée par la commission du Conseil national compétente est efficace et n’implique aucune bureaucratie. Elle peut et doit être introduite aussi rapidement que possible.

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

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