Baisses de salaire et salaires en euros sont interdits

  • Droit du travail
  • Salaires et CCT
Articles
Écrit par Luca Cirigiliano, secrétaire central de l'USS/fq

Abolition du cours plancher du franc : l'imagination a ses limites

À peine la Banque nationale suisse (BNS) avait-elle aboli le taux plancher de 1,20 franc pour 1 euro que des fusibles juridiques sautaient chez certains employeurs. Ceux-ci pensent en effet baisser les salaires des frontaliers et frontalières ou rémunérer ces derniers en euros. Quelques-uns imaginent même payer tout leur personnel en euros. La situation juridique et la jurisprudence est claire : toutes ces mesures sont interdites.

Faire pression sur les salaires avec l’euro ?

Le franc est surévalué et, étant donné le cours trop bas de l’euro, nombre d’entreprises verront leurs recettes diminuer. C’est pourquoi beaucoup d’entreprises vont examiner ces prochains temps dans quelle mesure comprimer leurs coûts de production en baissant leurs salaires ou en versant des salaires en euros afin de répercuter le risque de change sur leurs collaborateurs et collaboratrices.  

Certains patrons aimeraient baisser les salaires en francs des frontaliers et frontalières ou les verser en euros et d’autres payer même tout leur personnel en euros, ce qui revient à lier les salaires au cours du franc. Or, toutes ces mesures sont en contradiction avec les principes applicables ici du droit du travail ainsi qu’avec la jurisprudence.

L’employeur n’a pas simplement carte blanche

L’employeur dispose d’une certaine marge de manœuvre pour fixer les salaires et donc aussi pour les modifier à la baisse (à condition de respecter les règles du congé-modification), du moment qu’il respecte la bonne foi et les bonnes mœurs et que le montant du salaire reste objectivement et suffisamment prévisible. Mais il n’a pas le droit de baisser unilatéralement les salaires.

L’article 323b du Code des obligations (CO) précise que l’employeur doit payer ses salaires dans une monnaie « ayant cours légal », monnaie qui doit faire partie du contrat de travail et ne peut pas être modifiée unilatéralement par l’employeur.

L’employeur n’est pas non plus libre quant à la façon dont le contrat est conçu. D’une part, il s’agit d’appliquer la notion de protection prévue par le droit du travail, selon laquelle la partie la plus faible au contrat doit être protégée contre certaines modifications de ce dernier. D’autre part, l’application de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) doit empêcher la sous-enchère salariale qui peut toucher la main-d’œuvre suisse à travers la discrimination de citoyen(ne)s de l’Union européenne (UE).

Le risque entrepreneurial ne peut pas être répercuté sur le personnel

Il est interdit de répercuter le risque entrepreneurial sur le personnel (disposition impérative de l’article 323 CO, qui ne peut être modifiée ni via un contrat de travail individuel, ni via une convention collective de travail, CCT). C’est justement ce qui est le cas lorsque le cours du change défavorable assombrit les perspectives économiques d’une entreprise. Or, l’employeur doit assumer par anticipation le cours du change qui fait partie du risque entrepreneurial. Lui seul en profite en effet lorsqu’il prend une autre direction et augmente les bénéfices de son entreprise. La doctrine juridique interdit aussi les baisses de salaire sous forme de participation au résultat négatif d’une entreprise. Car là, nous sommes également en présence d’un report du risque entrepreneurial sur le personnel, ce qu’interdit l’article 322a du CO.

Pareilles dispositions, qu’elles soient introduites par des accords généraux, le congé-modification ou une CCT, sont par conséquent frappées de nullité. Elles ne peuvent pas non plus s’appuyer sur des « articles de crise » de CCT, car ceux-ci doivent respecter le droit impératif (art. 358 CO). Un employeur qui adapterait régulièrement les salaires en fonction des variations du cours du change commettrait un abus de droit (art. 2 Code civil CC).

Le droit du travail protège aussi les frontaliers et frontalières

L’interdiction de discriminer stipulée à l’article 2 de l’ALCP (précisée à l’art. 9 al. 1 de l’Annexe 1 de l’ACLP) interdit de traiter différemment les personnes en fonction de leur nationalité ou de leur lieu de domicile. Aucune raison économique, comme par exemple des variations du cours du change, ne peut justifier de telles discriminations. C’est pourquoi l’employeur n’a pas le droit de lier au cours de l’euro les salaires qu’il verse à ses collaborateurs et collaboratrices en provenance de l’UE ou aux frontaliers et frontalières qu’il occupe. Cela protège aussi la main-d’œuvre qui vit en Suisse, car il n’est ainsi pas possible de la mettre en concurrence avec une main-d’œuvre frontalière « bon marché », voire la remplacer par cette dernière.

Des euros pour tout le monde ?

Serait-il cependant autorisé de verser des salaires en euros à tout le personnel, indépendamment de son lieu de domicile ? Ou de lier tous les salaires à l’euro ? La réponse est non !

Car, comme dit plus haut, de telles clauses, tant dans des congés-modification que dans des contrats individuels de travail ou des CCT, consisteraient à reporter le risque entrepreneurial sur le personnel (art. 324 CO, resp. selon l’art. 322a CO).

Les modifications de contrat ou les congés-modification que l’on justifierait pour modifier les salaires en euros – et/ou auraient pour conséquence des salaires variables – ou prévoiraient pareille mesure seraient frappées de nullité et considérées comme un abus de droit (art. 2 CC).

arrêt de tribunal :

<media 2633 - - "TEXT, Urteil BL. Lohn Euro 12-12-17 ZR 1 3 , Urteil_BL._Lohn_Euro_12-12-17_ZR_1__3_.pdf, 301 KB">Arrêt du Tribunal cantonal de Bâle-Campagne, section civile, du 17 décembre 2012, N° 400 12 152. </media>

autres références bibliographiques :

<media 2635 - - "TEXT, LC Lohn Euro 9470 de 01, LC_Lohn_Euro_9470_de_01.pdf, 202 KB">Dr Schwaab Jean Christophe: Paiement du salaire en euros, adaptation au cours de l'euro : que dit le droit du travail ? In: Jusletter vom 8. August 2011.</media>

Tobler Christa, Indirekte Diskriminierung wegen der Staatsangehörigkeit durch Lohnsenkungen bei schwachem Euro-Kurs, in: Zur Emeritierung von J. Stöckli (Festschrift), Bäni Eva Maria et al. (Hrsg.), Zürich 2014, S. 649 ff.

Pärli Kurt, Neues beim arbeitsrechtlichen Diskriminierungsschutz – mit einem Seitenblick auf die Entwicklung in der europäischen Union, in: Jusletter vom 27. Februar 2011.

Responsable à l'USS

Luca Cirigliano

Secrétaire central

031 377 01 17

luca.cirigliano(at)sgb.ch
Luca Cirigliano
Top