Absence de protection des représentant(e)s du personnel : la Suisse viole des droits fondamentaux

  • Droit du travail
Articles
Écrit par Paul Rechsteiner, Präsident des SGB

Paul Rechsteiner, président de l'USS

Le droit de s’organiser et d’être actif syndicalement fait partie des droits fondamentaux qui permettent de distinguer un État de droit démocratique d’une dictature ou d’un État arbitraire. La liberté d’association, également appelée liberté de coalition, est une condition pour garantir, par le biais des réglementations collectives, que les conditions de travail et les acquis sociaux puissent contrebalancer le pouvoir économique des patrons. La Constitution fédérale la mentionne expressément. La liberté d’association est concrétisée par les droits découlant de la Convention n° 98 de l’Organisation internationale du travail (OIT), ratifiée par la Suisse. Avec l’interdiction du travail des enfants et de l’esclavage, la liberté syndicale fait partie des « core labour standards », c’est-à-dire des  normes fondamentales du travail qui doivent être respectées dans le monde entier, indépendamment de la législation nationale. Ces droits sociaux fondamentaux sont des droits humains.

La Suisse est une des plus vieilles démocraties du monde. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, elle fut aussi un État pionnier dans le développement de principes fondamentaux du droit international du travail. C’est l’une des raisons pour lesquelles le siège de l’OIT se trouve toujours à Genève. Outre les préoccupations sociales, reconnaître la nécessité de fixer des limites, au-delà du cadre national, à la concurrence internationale a toujours nourri le développement du droit international du travail, afin d’empêcher que la violation des principes élémentaires de la justice sociale ne puisse, par-dessus le marché, être source de profit.

Il est donc d’autant plus préoccupant de voir que la Suisse, pays pionnier en matière de droit international du travail, n’a pas été capable, jusqu’à maintenant, de réglementer la protection des représentant(e)s du personnel de manière à respecter les standards minimaux de ce droit. Si, durant les années fastes de la haute conjoncture et du plein emploi, cette absence de protection n’apparaissait peut-être pas, en pratique, comme un problème aigu, il a constamment gagné en acuité depuis les années nonante. Pour cette raison, l’Union syndicale suisse s’est vue obligée, pour la première fois de son histoire, de porter plainte en 2003 auprès des instances de l’OIT. En novembre 2006, l’OIT a établi sans ambiguïté que la protection lacunaire des membres des syndicats et des commissions d’entreprise face aux licenciements antisyndicaux violait la liberté de coalition et exigea de la Suisse, respectivement du Conseil fédéral, qu’il agisse pour y remédier.

Six ans plus tard, force est de constater malheureusement que la situation juridique ne s’est pas améliorée. Dans la pratique, la question est devenue encore plus aiguë, si nous considérons les cas scandaleux de ces dernières années. Les tribunaux ont aussi apporté leur contribution à cette situation lamentable, lorsque, à l’instar du Tribunal fédéral dans le cas emblématique du président de la commission d’entreprise de Tamedia, ils ont considéré que presque tout motif évoqué par l’employeur pouvait justifier le licenciement d’un membre d’une commission d’entreprise. Le Tribunal fédéral a néanmoins dû admettre à cette occasion que le Conseil fédéral et le législateur devaient agir. Reposant sur une inapplication offensive des conventions de l’OIT, l’attitude de la cour suprême – répétée dans sa décision sur le cas Chevrier, condamnant des syndicalistes pour la distribution, sur la place de parc de l’entreprise, de tracts d’information sur une convention collective – est en opposition crasse à ses arrêts récents sur d’autres conventions internationales (p. ex. sur la Convention relative aux droits de l’enfant ou sur la Convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes). Dès leur ratification au plus tard, les conventions de l’OIT font pourtant aussi partie du droit applicable dans le pays par ses tribunaux et ses autorités.

De son côté, le Conseil fédéral, après des années de valse-hésitation, a mis en consultation en 2010 un projet qui aurait apporté au moins un petit progrès, certes insuffisant, en matière de protection des représentant(e)s du personnel. Depuis, le dossier est à nouveau bloqué, les employeurs et les associations économiques (et à leur remorque, les partis bourgeois) faisant barrage à toute amélioration. Les cantons et les autres participant(e)s à la consultation avaient en majorité réagi positivement aux propositions du Conseil fédéral.

Vu le blocage de ce dossier à la Confédération, l’Union syndicale suisse a décidé de réactiver la plainte auprès de l’OIT et a présenté, avec sa requête du 19 septembre 2012, toute une série de nouveaux cas (dont celui, déjà évoqué, de Daniel Suter). A la longue, les autorités suisses, fortement imbriquées dans les relations internationales, mais aussi les associations d’employeurs et économiques, ne pourront plus simplement rester insensibles au fait que l’OIT, l’organisation mondiale faisant autorité dans ce domaine, doive constater que la Suisse viole ce droit fondamental de la liberté d’association.

Parallèlement, une campagne est lancée en Suisse autour du nouveau Livre noir, afin de souligner le caractère intenable de la situation actuelle. Celui ou celle qui célèbre le partenariat social comme base indispensable au succès de l’économie suisse ne peut accepter en même temps que des membres des commissions d’entreprise, dont la tâche consiste à représenter les intérêts du personnel, puissent être mis à la rue du jour au lendemain. Ou qu’une direction d’entreprise puisse licencier, en pleine négociation d’un plan social, le président de la commission d’entreprise, donc son partenaire dans ces négociations. Et aucune gestion paritaire de caisse de pensions ne peut fonctionner avec l’indépendance nécessaire si ceux et celles qui assument cette tâche hautement exigeante et responsable ne bénéficient pas d’une protection contre les licenciements digne de ce nom. Celui ou celle qui représente des intérêts collectifs, et ce faisant agit dans l’intérêt public, doit être protégé en conséquence contre l’arbitraire.

Responsable à l'USS

Luca Cirigliano

Secrétaire central

031 377 01 17

luca.cirigliano(at)sgb.ch
Luca Cirigliano
Top