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Photo: © La Poste Suisse SA

 

Service public : l’approvisionnement de base ne doit pas être dans un carcan

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Session de printemps : deux motions veulent brider les entreprises publiques

Envoyer son chien dehors sous la pluie, puis s’étonner qu’il revienne mouillé : voilà en gros la logique d’un nouveau groupe parlementaire, qui s’irrite de la modernisation en cours dans les anciennes régies fédérales. Son nom ? « Fair ist anders! ». En français, ce serait quelque chose comme : « L’équité, c’est autre chose ! » ou « L’équité, ce n’est pas ça ! » Tout un programme, en effet.

Depuis quelque temps déjà, les entreprises de la Confédération se retrouvent sous le feu roulant des critiques, tant de la part des milieux politiques que des médias. La Poste est particulièrement visée : profitant d’une position de monopole garantie par l’État, elle provoquerait, selon eux, une distorsion du marché avec la multiplication de ses acquisitions de sociétés. Et elle éliminerait des entreprises concurrentes de manière ciblée. Swisscom aussi est attaquée : elle profiterait de sa position dominante dans le domaine de l’accès au réseau pour évincer les autres opérateurs de télécommunications par des méthodes déloyales. Enfin les CFF sont accusés d’être inertes et lents. L’avenir du rail passe par davantage de concurrence, que ce soit en Suisse ou au niveau international, estiment les voix critiques.

Décision de principe lors de la session de printemps

Mais on n’en restera pas à une simple pluie de reproches. Les milieux politiques veulent prendre les choses en main le plus vite possible et « serrer la bride aux entreprises d’État ». C’est précisément ce que veulent deux motions des conseillers aux États Beat Rieder et Andrea Caroni qui doivent être traitées au Conseil national lors de la session de printemps. Elles demandent au Conseil fédéral d’élaborer des modifications de loi afin d’« endiguer les distorsions de concurrence provoquées par les entreprises publiques ». Ce que cela veut dire, en clair ? Que la Poste renonce à toutes ses activités en dehors du monopole des lettres ; que les hautes écoles spécialisées cessent immédiatement d’acquérir des fonds de tiers ; que les hôpitaux publics se voient privés de presque tous leurs moyens et que les banques cantonales ferment leurs portes. La liste pourrait s’allonger indéfiniment.

Au Conseil des États, ces deux motions ont déjà trouvé une majorité, et le lobbying est intense en ce moment au Conseil national, notamment avec la création d’un nouveau groupe parlementaire intitulé « Fair ist anders! ». Ce groupe déplore que les entreprises publiques soient devenues des concurrentes directes de sociétés de droit privé et d’entreprises artisanales. Il exige que ces dernières puissent se battre à armes égales.

Les membres de ce groupe semblent avoir la mémoire courte : avant le passage au 21e siècle, les PTT ont été démantelés (donnant naissance à deux sociétés anonymes, la Poste et Swisscom) et les CFF ont également été transformés en SA. Il s’agissait là d’évolutions liées à l’euphorie de la concurrence qui régnait alors en Europe. Le mot d’ordre était alors que les entreprises publiques étaient trop lourdes et qu’elles devaient désormais s’adapter à la concurrence. Ce changement les forcerait à innover et à se concentrer davantage sur les prestations de services, ce qui bénéficierait finalement à l’ensemble de la population avec plus de qualité et des prix inférieurs. Or, ces libéralisations ont été exigées et mises en œuvre en premier lieu par les mêmes milieux qui se plaignent aujourd’hui que les entreprises qu’ils ont poussées à la concurrence se comportent désormais effectivement comme des concurrents – c’est quand même un comble ! C’est un peu comme si vous envoyiez votre chien dehors alors qu’il pleut et que vous vous étonniez ensuite qu’il revienne mouillé…

Au lieu de critiquer le fait que la Poste investisse dans le changement numérique – notamment en rachetant des entreprises spécialisées déjà bien plus avancées en la matière – ces personnes devraient au contraire se féliciter que le « géant jaune » ne se contente pas de cultiver son petit pré carré du monopole des lettres – en déclin – et reste figé dans la « correspondance papier d’hier ». Mais que bien au contraire, elle aille de l’avant avec cette transformation indispensable et réalise même régulièrement des succès. Il faudrait plutôt veiller à ce que le personnel ne soit pas oublié dans cette transformation et que tous les employé-e-s soient parties prenantes.

L’approvisionnement de base a un coût

Il y a un autre élément qui fait que ces attaques contre la Poste, Swisscom et compagnie sont totalement déplacées : dans le cadre de la garantie du service public sur l’ensemble du territoire, les entreprises fédérales sont tenues de remplir un mandat de service universel. Ce mandat constitue la plupart du temps une activité largement déficitaire (les coûts nets du service universel postal s’élevaient par exemple à 230 millions de francs en 2020). Si elles ne veulent pas dépendre de subventions pour assurer ce mandat, elles n’ont d’autre choix que de réaliser des modestes recettes « sur le marché ». Et elles ne peuvent le faire que dans un cadre très restreint, précisément pour prévenir de potentielles « distorsions du marché ». Ainsi, Postfinance n’a actuellement toujours pas le droit d’octroyer elle-même des crédits, sans intermédiaire, alors qu’elle est obligée par ailleurs de satisfaire aux même exigences - coûteuses – en matière de capital que toutes les autres grandes banques. Le groupe parlementaire mentionné plus haut veut que les règles du jeu soient les mêmes pour tout le monde ? D’accord : donnons enfin à Postfinance le droit d’octroyer des crédits. Mais les motions de Beat Rieder et Andrea Caroni sont extrêmement contradictoires et hautement dangereuses. Elles doivent être fermement rejetées.

Responsable à l'USS

Reto Wyss

Secrétaire central

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Reto Wyss
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