Indéfendable, localement et globalement désastreux

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Écrit par Rolf Zimmermann

Les effroyables scènes du terrible désastre atomique qui a ravagé le Japon ces jours ré-pondent malheureusement aux craintes qui avaient conduit les syndicats, dans les années 1980 du XXe siècle déjà, à estimer que la technologie nucléaire est hostile aux êtres hu-mains et donc à abandonner. La catastrophe nucléaire qui, après un tremblement de terre aux effets destructeurs déjà inimaginables et un tsunami terrifiant, a détruit les réacteurs de la centrale de Fukushima, et son incidence globale qui va s’aggravant dépassent tout ce que même les milieux antinucléaires avaient pu imaginer jusqu’à ce jour.

Comme à Tchernobyl, en 1986, les premières victimes sont les travailleurs et travailleuses de la centrale nucléaire japonaise. Sur ordre du gouvernement, aussi comme dans l’ancienne Union soviétique d’alors, ils ont été contraints d’effectuer une mission qui les condamnera inéluctablement à la mort. Sur place, le rayonnement est si fort que tout le personnel a dû être évacué des installations, lui qui lutte désespérément pour éviter une mégacatastrophe. Tout cela prouve que ces technologies, qui impliquent des risques tels qu’ils mettent sens dessus dessous toute norme en matière de sécurité au travail, sont mises en œuvre dans un mépris total de la vie humaine et sont donc inacceptables.

Le sacrifice du personnel de la centrale japonaise suppose qu’il ne soit aucunement tenu compte de la dignité humaine. Il a lieu afin de limiter des dangers mortels incalculables autant que possible dans les zones proches de la catastrophe, où vivent 150 000 personnes, et n’atteignent pas les 35 millions habitants de l’agglomération tokyoïte. En même temps, les Japonais et Japonaises se battent contre les conséquences « normales » du tremblement de terre le plus violent de l’histoire. Avec la catastrophe nucléaire, leur situation est devenue apocalyptique. On a vu, avec Tchernobyl, que le nombre de victimes directes n’avait jamais été communiqué et que celui, important, des victimes après coup avait été systématiquement minimisé. Il est humainement compréhensible et psychologiquement explicable de vouloir se protéger par l’oubli. Mais cela ne doit pas avoir pour effet que les conséquences politiques soient, elles aussi, refoulées.

Tous les commentateurs disent qu’après la catastrophe de Fukushima, le monde ne sera plus jamais le même. Cela signifie que l’État nucléaire, craint depuis si longtemps et qui apparaît aujourd’hui au grand jour, ne doit plus avoir d’avenir. La technologie nucléaire - dont l’usage militaire est traumatisant pour les Japonais(es) depuis 1945 – n’est manifestement pas maîtrisable non plus dans son usage civil. Les risques mortels encourus – pour lesquels aucune assurance ne veut engager sa responsabilité – sont humainement inacceptables et, même en l’absence de catastrophe aux conséquences de toute évidence incalculables, seront présents des siècles durant. C’est pourquoi il faut en finir avec le nucléaire !

L’Union syndicale suisse (USS) s’est ralliée depuis des décennies - après le conflit autour de la centrale atomique jamais construite de Kaiseraugst, dans les années 1970 – aux arguments des organisations écologistes, du Parti socialiste et des Verts. Elle n’a cessé d’œuvrer pour un approvisionnement durable en énergie et est parvenue à empêcher une libéralisation absurde du marché de l’électricité. Nous avons aussi développé nos propres conceptions concernant l’avenir énergétique de la Suisse, à savoir :

 

  • L’économie et la société dépendent d’un approvisionnement sûr en énergie, qui doit être durable, aujourd’hui déjà et pour les générations futures.
  • Il faut sortir du nucléaire. C’est faisable et cela permettra de créer des emplois, plus sûrs et plus innovateurs qu’aujourd’hui. 
  • Les énergies renouvelables (vent, eau, soleil) doivent avoir la toute première priorité. D’un point de vue climatique et en raison du pic pétrolier atteint, un approvisionnement à partir d’énergies fossiles est la mauvaise solution.
  • La toute première priorité doit être donnée à l’efficience énergétique. Pour les technologies destinées à l’isolation thermique et à l’économie d’énergie, il faut des programmes d’encouragement plus efficaces et des prescriptions correspondant mieux au nouvel état de la technique. Dans les régions très peuplées, les capacités en chauffage à distance doivent être mieux mises à profit ou développées. Et, en dehors de ces régions, à titre de solution transitoire, il faut encourager les installations décentralisées de couplage chaleur-force (solution de rechange aux centrales à gaz non souhaitées).

Sur fond de sortie du nucléaire, désormais nécessaire, la production et l’approvisionnement en électricité sera, encore plus qu’à ce jour, une tâche publique. C’est pourquoi l’USS refuse vigoureusement – sans parler des autres désavantages induits : prix instables, spéculation et régulation bureaucratique complexe – la libéralisation du marché de l’électricité. Les travaux de la révision de la loi sur l’approvisionnement en électricité doivent désormais se concentrer sur la sécurité de l’approvisionnement.

À juste titre, les médias dénoncent les magouilles de l’industrie atomique japonaise[1]. Finalement, la situation japonaise n’est qu’au plus marginalement différente de la situation suisse ou européenne. Les dernières décennies de politique nucléaire font clairement apparaître que la sortie de l’atome est, par conséquent, également synonyme d’un meilleur contrôle démocratique des groupes d’électricité largement aux mains de cantons.

Three Mile Island et Tchernobyl ont été trop rapidement oubliés par les politiques et n’ont pas entraîné la conversion nécessaire. Fukushima doit corriger cela. Les actuelles professions de foi, à gauche comme à droite, sont l’aspect positif de la tragédie japonaise. Mais, contrairement à ce qui fut le cas par le passé, elles ne doivent pas rester des déclarations purement tactiques. C’est pourquoi tous les milieux critiques à l’égard du nucléaire doivent faire preuve de ténacité, les syndicats aussi.


[1] « Die Macht der Atomindustrie », NZZ, 18.3.2011, p. 5.

Responsable à l'USS

Reto Wyss

Secrétaire central

031 377 01 11

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Reto Wyss
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