Carte d’identité électronique : un monopole privé déjà à l’affut

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Écrit par Reto Wyss

Votation populaire sur la loi sur l’identité électronique (e-ID)

Le géant Swiss Sign Group est fin prêt à dominer le marché des cartes d’identité ou passeports électroniques (e-ID). Les 20 grandes entreprises réunies dans ce consortium représentent près de 30 % de l’économie suisse. Voulons-nous vraiment confier l’émission de l’identité électronique, donc de nos données les plus sensibles, à ce monopole ? La réponse ne peut être que non.

La population se montre sceptique

Les signes semblent indiquer un rejet le 7 mars : selon les derniers sondages, la loi fédérale sur les services d’identification électronique (LSIE) a du mal à s’imposer auprès de la population suisse. Ce n’est guère surprenant : en 2019 déjà, un sondage représentatif de Demoscope indiquait que 87 % des habitantes et habitants souhaitent obtenir leur passeport numérique (e-ID) exclusivement auprès de l’État, ce qu’exclut malheureusement la loi soumise à votation dans moins de trois semaines. Bien que la Conseillère fédérale responsable ne cesse de promouvoir l’e-ID en affirmant effrontément le contraire (comme d’ailleurs lors de la récente campagne de votation sur l’initiative entreprises responsables), si la loi est adoptée, nous devrons dans les faits acheter le passeport numérique au guichet de l’UBS ou à la succursale de la CSS (à un prix encore inconnu, la loi ne dit rien à ce sujet).

« Conditions générales » dans l’ordonnance

Même si l’Office fédéral de la police (au fait, pourquoi cet office ?) doit d’abord vérifier les identités personnelles avant de les transmettre aux fournisseurs d’identité privés, la loi interdirait à l’État de proposer sa propre e-ID. Il ne pourrait le faire qu’à titre subsidiaire et dans des conditions parfaitement improbables, à savoir si aucune entreprise privée ne fournit une solution d’identification « sûre et interopérable ».

La définition de la « sécurité des données personnelles » et de l’« interopérabilité de l’e-ID » n’est pas connue, car ces questions (cruciales) ne seront définies que dans l’ordonnance sur ce sujet. En vue de la votation, cette ordonnance aurait dû être disponible depuis longtemps. C’est du moins la procédure transparente habituelle, également promise par le Conseil fédéral.

La seule chose que nous savons de l’ordonnance, grâce aux recherches des journalistes, est que le groupe chargé de sa rédaction comprend précisément des représentant-e-s des entreprises prêtes à offrir une e-ID privée. Ces personnes rédigent donc elles-mêmes les conditions générales de leurs futurs produits et services légitimées par l’État !

Cela fait peur et nourrit pas la confiance, loin s’en faut. Pourtant, cette confiance est fondamentale pour une large acceptation de la nouvelle identité électronique, qui – nous ne le nions pas – est nécessaire et urgente. Après tout, nous sommes censés l’utiliser désormais pour remplir nos déclarations d’impôts, accéder au dossier électronique des patients ou (ce qui n’est pas souhaitable pour d’autres raisons) participer à des votations et élections.

Schaffhouse montre la voie

Si la LSIE est acceptée, une entreprise est déjà dans les startingblocks pour sa mise en œuvre pratique : « Swiss Sign Group », un consortium de 20 grandes entreprises suisses représentant au total près de 30 % de la production économique suisse. Voulons-nous vraiment confier l’émission de notre identité électronique, et donc de nos données les plus sensibles, à ce monopole privé ? Il faut espérer que non. En tout cas, nous ne pourrions pas éviter ce consortium (ne serait-ce qu’en raison de l’« interopérabilité » légale entre les fournisseurs d’e-ID).

Et même si d’autres fournisseurs s’installaient, il s’agirait probablement de grands groupes étrangers avec de gros moyens, voire des « pieuvres avides de données » comme Facebook ou Google. L’exemple de Schaffhouse resterait l’exception : pionnier, ce canton a déjà annoncé qu’en cas d’acceptation de la loi, il demanderait l’accréditation de son e-ID cantonale. L’e-ID de Schaffhouse est un modèle conceptuel réussi, indiquant comment une identité électronique sûre et fiable doit être construite : sous la souveraineté de l’État, légitimée démocratiquement et mise à disposition comme un service public.

Personne n’attend d’un service étatique qu’il développe lui-même l’e-ID entièrement (ou même partiellement) ; la Confédération ne construit pas non plus les autoroutes elle-même. Pour cela, il existe un système de marchés publics, des procédures d’appel d’offres et des entreprises spécialisées, comme l’exemple de Schaffhouse l’a bien démontré.

Faisons donc confiance aux personnes qui ne veulent pas confier au secteur privé cette tâche régalienne essentielle, et rejetons vigoureusement la LSIE le 7 mars. C’est la seule façon d’introduire une e-ID sûre et fiable en tant que partie du service public numérique.

Responsable à l'USS

Reto Wyss

Secrétaire central

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