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Écrit par Luca Cirigliano, secrétaire central de l’USS

Loi fédérale sur les heures d’ouverture des magasins

Le 29 février, le Conseil national se prononcera sur la loi fédérale sur les heures d'ouverture des magasins (LOMag), dont le but est de contraindre les cantons à appliquer des heures d'ouverture des magasins harmonisées à la hausse. Cela est un danger pour toutes les branches économiques.

Menace claire sur les conditions de travail

Ces modifications se feront au détriment des travailleurs et travailleuses concernés alors que leurs conditions de travail sont déjà à ce jour particulièrement précaires. Ces personnes, qui sont souvent des femmes assumant des tâches d'éducation et d'assistance, se prononcent régulièrement contre une extension des horaires, du fait que cela induit une dégradation des conditions de travail, comme en attestent une étude du SECO de 2005 et les enquêtes d'Unia dans les cantons les plus libéraux.

Avec la LOMag, les journées de travail (de 6 à 20 heures en semaine, de 6 à 18 heures ou 19 heures le samedi) des employé-e-s de cette branche deviendraient encore plus irrégulières et fragmentées qu'elles ne le sont déjà actuellement. Or, les horaires qui font travailler tard le soir ainsi que leur morcellement et le travail sur appel sont, à l'heure actuelle déjà, la cause d'une augmentation du stress et des cas d'épuisement professionnel (" burnout ") chez les travailleurs et travailleuses. Ils empêchent en outre toujours plus de concilier famille et profession. La nouvelle loi sur les heures d'ouverture des magasins péjorerait ainsi les conditions de travail de plus de 200 000 travailleuses et travailleurs !

Les horaires des magasins comme " stratégie du salami " pour un travail 24/24

Les partisans de la dérégulation des horaires de travail savent qu'ils n'ont aucune chance s'ils attaquent frontalement les mesures de protection des travailleurs et travailleuses. Ainsi, le 1er décembre 1996, la révision de la loi sur le travail (LTr), qui prévoyait six dimanches de travail par an dans le commerce de détail, a sombré en vote populaire suite à un référendum syndical.

Plutôt que de subir à nouveau une défaite retentissante suite à une attaque massive contre le repos du soir et du samedi ainsi que nocturne et dominical, les partisans de la dérégulation totale préfèrent aujourd'hui procéder par petites tranches, en espérant que les électeurs n'y verront que du feu. Ils se servent aussi de quelques parlementaires comme M. Lombardi qui, s'ils se déclarent opposés à une libéralisation totale, se mettent néanmoins au service de cet objectif en réclamant des assouplissements ponctuels en faveur d'intérêts sectoriels (p. ex. sous le prétexte du franc fort, comme le fait M. Lombardi dans sa motion qui a engendré la LOMag). Quoi qu'il en soit, chaque petit pas en direction d'horaires dérégulés, même si ceux qui les proposent ne se doutent de rien (ou font mine de se douter de rien), sert l'objectif final de prolonger les horaires d'ouverture de tous les commerces et de supprimer ou limiter l'interdiction de travailler la nuit et le dimanche dans toutes les branches ! Les exemples de l'étranger le démontrent bien : là où on a commencé avec une dérégulation des horaires des ouvertures des magasins, on a tôt ou tard précarisé tous les horaires de travail (Italie, Royaume Uni, etc.).

Avec la LOMag, nous sommes donc en présence d'une véritable " stratégie du salami ", une charcuterie difficile à avaler d'un seul coup, mais délicieuse en petites tranches fines et digestes. Et cela alors que, depuis 2009, les votations cantonales le souverain a toujours rejeté une prolongation des heures d'ouverture des magasins.

Protection et amélioration de la protection refusées dans une branche antisyndicale

Lors d'extensions d'heures d'ouverture, et donc de temps de travail, des mesures de protection pour les salarié-e-s sont nécessaires. Or, les employeurs de la branche s'y refusent. Tout aussi grave, le commerce de détail ne connaît toujours pas de convention collective de travail (CCT) nationale, l'association patronale de cette branche, Swiss Retail Federation (issue de l'Association suisse des grands magasins) a toujours refusé jusqu'à ce jour de négocier une CCT. Cette loi met sérieusement en danger les rares CCT de force obligatoire en vigueur en Suisse romande. Quant aux CCT des grands distributeurs, elles ne prévoient pas de disposition pour protéger les salarié-e-s contre de longues journées de travail. Dans ce contexte, il ne serait pas responsable que le législateur soutienne une loi qui dégrade les conditions de travail alors que les patrons n'assument pas leur responsabilité et refusent de protéger les salarié-e-s.

Les mauvaises conditions de travail et le manque de CCT dans la branche sont encore aggravés par un climat antisyndical très marqué. Plusieurs employeurs du commerce de détail, et pas des moindres, sont fort peu respectueux de la liberté syndicale, un droit fondamental pourtant reconnu par la Constitution fédérale (art. 28) et de nombreuses conventions internationales, dont la Convention Européenne des Droits de l'Homme. Ainsi, la Migros refuse de reconnaître Unia, premier syndicat du pays, comme partenaire conventionnel. La Migros s'est aussi rendu coupable de plusieurs licenciements antisyndicaux (dont celui d'un salarié qui avait averti les autorités d'un grave danger pour la santé de ses collègues). Elle a aussi tenté à plusieurs reprises, par des plaintes pénales abusives, de chasser les syndicats de ses locaux. Manor s'est rendu coupable d'un des licenciements antisyndicaux les plus scandaleux de ces dernières années en renvoyant la présidente d'une section d'Unia parce qu'elle avait dénoncé dans la presse des extensions des horaires voulues par les employeurs. Les mauvaises conditions de travail en vigueur chez Spar ont poussé ses salarié(e)s à des grèves.

Mesure inefficace contre le franc fort et attaque contre le fédéralisme

Les difficultés rencontrées actuellement par le commerce de détail ne proviennent pas des heures d'ouverture différentes d'un canton à l'autre. Le baromètre des préoccupations des consommateurs montre bien que les heures d'ouverture sont une question insignifiante, au contraire des prix. Les cantons qui ont déjà intégralement déréglementé leurs heures d'ouverture (Argovie, Zurich, etc.) n'affichent pas des chiffres d'affaire meilleurs que les autres cantons. La raison d'être de cette loi invoquée ici ne résiste ainsi même pas à un examen superficiel !

Pour toutes ces raisons l'USS et ses fédérations affiliées vont se battre avec force contre cette loi dangereuse qui s'imbrique dans une stratégie " du salami " de dérégulation pour le personnel de vente, mais aussi pour le reste des branches en Suisse.

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

031 377 01 16

daniel.lampart(at)sgb.ch
Daniel Lampart
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