Le Conseil national maintiendra les privilèges fiscaux des riches, mais le peuple…

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Écrit par Ewald Ackermann, service de la communication de l’USS/fq

Session parlementaire spéciale

Lors de sa session spéciale des 5, 6 et 7 mai prochains, le Conseil national traitera entre autres l’initiative populaire « Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires (abolition des forfaits fiscaux) », qui demande la fin de l’imposition forfaitaire dont profitent des riches étrangers. Or, ses chances de triompher dans les urnes sont intactes.

C’est en octobre 2012 que La Gauche, soutenue par le Parti socialiste, l’Union syndicale suisse (USS) et le syndicat Unia, a déposé cette initiative à la Chancellerie fédérale. Elle demande l’abolition de l’imposition forfaitaire des riches étrangers, un privilège au moyen duquel la Suisse cherche, depuis 150 ans environ, à attirer des contribuables étrangers fortunés. Pratiquée au départ surtout dans le canton de Vaud et conçue pour les riches retraités (Lex Chaplin), elle n’a cessé de s’étendre. En 2012, notre pays comptait 5 634 personnes imposées forfaitairement, qui s’acquittaient d’un montant de 695 millions de francs au titre de l’impôt. Si leurs revenus et leurs fortunes réels avaient été imposés normalement, elles auraient cependant dû payer une somme quatre fois supérieure. En effet, au lieu d’être imposées selon leur capacité économique, elles le sont sur la base de leurs dépenses (calculée comme équivalant à cinq fois la valeur locative de leur logement). Le fisc perd ainsi d’énormes sommes.

Et le principe constitutionnel selon lequel chacun(e) doit être imposé en fonction de sa capacité économique est ainsi violé, ce que reconnaissent d’ailleurs ouvertement les partisans bourgeois de l’imposition forfaitaire. Toutefois, ils justifient cette pratique par son utilité économique : pour eux, les impôts versés de la sorte, le pouvoir d’achat des personnes concernées et leurs activités de mécénat compenseraient les pertes fiscales. Le hic, c’est que la réalité dit tout le contraire.

La preuve par Zurich

En 2009, le canton de Zurich a aboli son imposition fiscale, suite à une initiative populaire émanant aussi de La Gauche. Auparavant, il comptait 200 étrangers imposés forfaitairement. Si la moitié d’entre eux a alors quitté le canton, une majorité pour déménager dans un autre et une minorité pour passer à l’étranger, les recettes fiscales du canton de Zurich n’ont pas souffert de ces mouvements. À lui seul, le montant que les riches étrangers restés dans le canton et désormais imposés normalement ont dû payer a plus que compensé les montants perdus à suite aux départs susmentionnés. S’ajoute à cela que les nouveaux riches qui se sont installés dans les villas libérées ont aussi largement alimenté les caisses cantonales. En fin de compte, cet exercice a profité au canton de Zurich. Et on est en droit de penser qu’il en a été sans doute de même pour les quatre autres cantons qui en ont fait autant, soit Schaffhouse. Bâle-Ville, Bâle-Campagne et Appenzell Rhodes-Extérieures.

Le Parlement « oublie » les expériences déjà faites

Malgré ces expériences, le Conseil fédéral rejette cette initiative et le Conseil des États l’a suivi à trois contre un sur cette voie en décembre dernier. La commission du Conseil national en a fait autant, par 17 voix contre 7. L’argumentation avancée est toujours la même : les personnes imposées forfaitairement partiraient, les pouvoirs publics perdraient de l’argent. Comme si « deux tu l’auras » valait mieux que « un tiens »… En outre, les adversaires de l’initiative signalent qu’ils auraient légèrement serré la visse : au lieu de cinq fois la valeur locative, ce serait au moins sept fois maintenant. Les principaux arguments de la gauche contre les privilèges fiscaux sont et restent les suivants : manque de transparence, avantages injustifiés accordés aux riches étrangers et non-respect du principe, inscrit dans la Constitution fédérale, selon lequel l’imposition doit se faire en fonction de la capacité économique.

Votation : retour à la case départ

Il faut s’attendre à ce que le Conseil national rejette également l’initiative. Mais les cartes seront redistribuées lorsque le peuple devra trancher dans les urnes. L’actuel système des privilèges fiscaux ne peut plus profiter de personnalités sympathiques comme l’était en son temps Charlie Chaplin. Parmi les personnes privilégiées, on compte désormais par exemple l’oligarque russe Viktor Vekselberg, qui réussit, grâce à des « assemblages savants », à n’exercer aucune activité lucrative en Suisse... Et optimise de ce fait ses impôts grâce à l’imposition forfaitaire. Que se dit alors celle ou celui qui est imposé sur la base de son certificat de salaire ? Sur les dix cantons qui ont tranché cette question dans les urnes, cinq ont supprimé leur imposition forfaitaire. La droite a donc raison d’être quelque peu nerveuse, de craindre que la population à ce sujet ne la suive pas. 

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

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