La Suisse et ses partenaires sociaux offrent leurs bons offices

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Écrit par Jean-Clause Prince

Le symposium organisé à Oerlikon par l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière (OSEO) le 19 novembre 2009 a réuni plus d’une centaine de syndicalistes et de représentants d’associations patronales suisses et des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) pour débattre du partenariat social. Placée sous le patronage du Département fédéral des affaires étrangères, cette manifestation a permis de dresser l’état des lieux des relations professionnelles en Suisse et dans cinq pays ex-communistes.

En quoi l’expérience de la paix sociale helvétique, fondée avant tout sur le volontarisme et la force de persuasion de ses acteurs peut-elle intéresser les syndicalistes et les employeurs de Bulgarie, Roumanie, Hongrie, République tchèque et Serbie ? A contrario, pourquoi l’anomie dont souffre la concertation sociale dans les PECO préoccupe-t-elle les partenaires sociaux et les autorités de notre pays ?

Il est indéniable que, depuis une soixantaine d’années, le partenariat social est un facteur de stabilité essentiel pour l’économie suisse. MM. Hans Hess, vice-président de Swissmem, Daniel Lehmann, directeur la Société suisse des entrepreneurs, Renzo Ambrosetti, vice-président d’Unia, et Hans-Jürg Fehr, président de l’OSEO se sont livrés lors de ce symposium à une véritable profession de foi en exprimant publiquement, et d’une même voix, leur confiance dans des relations professionnelles basées sur la bonne foi et une réglementation pacifiques des conflits.

Pragmatiques, sans pour autant ne rien céder sur leurs convictions de patrons et de syndicalistes, ils ont relevé que la force du système réside non seulement dans des mécanismes conventionnels qui doivent être aptes à fonctionner en toutes circonstances, en temps de crise aussi bien que de haute conjoncture. Il s’agit surtout d’un état d’esprit, d’une prédisposition au dialogue. Car tout conflit mène nécessairement à la table de négociation et, lorsque c’est l’impasse, à l’arbitrage volontaire qui, rendu selon des règles fixées préalablement, est exécutoire.

Nécessité de fortifier le dialogue social dans les PECO

De leur côté, les invités d’Europe centrale et orientale ont fait état du cadre dans lequel se déroule le dialogue social dans leurs pays respectifs. En raison des entraves auxquelles il est confronté, il n’en est qu’à ses débuts. C’est un fait que la transformation des économies planifiées des anciens pays communistes en économies dites de marché s’est réalisée généralement en l’absence de toute forme de régulation. Ce qui a engendré des inégalités croissantes, une généralisation de la pauvreté, la désertification des campagnes et une émigration des personnes les plus qualifiées…

Le dialogue social étant au cœur du modèle social européen, l’intégration de dix PECO à l’Union européenne (UE) a ouvert des perspectives susceptibles de favoriser le bipartisme et la conduite de négociations collectives autonomes. Le ministre du travail de Hongrie, M. Lásló Herczog, a souligné les nombreux freins qui empêchent son développement dans les pays en transition : « Il a fallu se défaire des anciennes institutions, qui ne toléraient aucune contestation, et, au nom du pluralisme, s’accommoder d’une fragmentation inouïe des partenaires sociaux qui affaiblit la représentativité et le poids des organisations syndicales et des associations patronales. En Hongrie par exemple, les organisations faîtières des partenaires sociaux sont au nombre 9 pour les employeurs et 8 pour les syndicats ! »

Constatant que le dialogue social rencontre encore beaucoup de difficultés dans les PECO pour remplir ses fonctions naturelles de négociation, de régulation et de cohésion, M. Herczog s’est réjoui que la Suisse se préoccupe de témoigner de son expérience de paix sociale pour démontrer, par l’exemple, qu’il est possible aux représentants des travailleurs et des employeurs de relever ensemble les défis de l’évolution économique et sociale.

L’exemple roumain

En Roumanie, où 11 organisations d’employeurs regroupées au sein de l’Alliance confédérale patronale (ACPR) traitent avec 5 confédérations syndicales fortes de 75 fédérations sectorielles, le taux de syndicalisation atteint l’honorable niveau de 32 %, ce qui est rare dans les PECO. Remerciant la Suisse et l’OSEO, qui ont beaucoup contribué au développement du dialogue social bipartite et à la formation de ses acteurs dans son pays, M. Petru Sorin Dandea, vice-président de la Confédération syndicale Cartel Alfa, a relevé que cette coopération a produit des résultats tangibles, y compris dans le domaine des mesures dites actives sur le marché du travail.

Malheureusement, dans les entreprises, l’application des conventions collectives de travail laisse encore à désirer. Les travailleuses et les travailleurs victimes d’abus renoncent la plupart du temps à faire valoir leurs droits du fait que les procédures judiciaires sont longues et coûteuses. Selon M. Dandea, les pressions qu’exercent sans répit les sociétés multinationales en faveur d’une déréglementation totale du marché du travail son énormes. Mais le veto des partenaires sociaux, qui ont défendent ensemble le bien commun, a empêché jusqu’ici un démantèlement du Code du travail qui ne ferait qu’alimenter un populisme de mauvaise augure.

Encouragements de la Suisse aux efforts de cohésion sociale

Actuelle présidente du Conseil de l’Europe, Mme la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey a, pour sa part, souligné que la Suisse était sensible aux dangers que représente, pour la démocratie, la fragilité du partenariat social dans les PECO : « Les mécontents de la transition grossissent les rangs des extrémistes que seules des organisations fortes et représentatives peuvent combattre. Il est essentiel que le développement économique des nouveaux pays de l'UE conduise à une harmonisation vers le haut. (…) Une économie durable et basée sur une harmonisation sociale vers le haut dans les nouveaux pays membres de l'UE est aussi dans notre intérêt. Elle contribue à protéger les conditions de travail en Suisse et notre système de sécurité sociale. Les activités de la Suisse en matière de coopération avec l'Europe centrale et orientale soutiennent par conséquent des programmes qui visent à promouvoir le partenariat social et à renforcer la formation professionnelle. Notre pays contribue ainsi à un développement responsable sur le plan social. L'OSEO est un important partenaire de la DDC dans la mise en œuvre de ces programmes. »

Que faire et comment s’y prendre ?

L’échange d’expériences qui était l’objectif visé par l’OSEO à travers ce symposium a été atteint. Le tableau du partenariat social en Suisse et en Europe centrale et orientale a été esquissé dans les grandes lignes. Les participants se sont dits convaincus de la nécessité d’agir pour contribuer au renforcement de la cohésion sociale que l’essor du capitalisme sauvage met à mal dans les pays ex-communistes.

Avec l’aide de la Confédération et à la demande des acteurs du dialogue social des PECO, les organisations syndicales et les associations patronales suisses sont bien en mesure de soutenir des interventions dans la perspective d’un accompagnement social du changement. Au vu des expériences déjà conduites par l’OSEO et l’Union syndicale suisse (USS), avec le soutien de la DDC dans le Sud-Est de l’Europe, les exigences de la réussite d’un tel processus nécessitent des analyses préalables et un diagnostic à dresser pays par pays, respectivement secteur par secteur, pour tenir compte de l’état des partenaires sociaux et du dialogue social dans chacun d’eux.

L’idée de cette approche est d’offrir aux partenaires intéressés un espace de débat ainsi qu’un apport en expertise et en formation nécessaires au développement des relations professionnelles. De telles interventions s’inscrivent sur une durée de plusieurs années. En effet, enclencher de nouveaux apprentissages sur le plan des acteurs et de leurs interrelations prend du temps. Même dans les pays qui connaissent un dialogue social vivant et productif la précipitation n’est pas de mise dans l’édification de processus de légitimation de règles communes aux employeurs et aux syndicats.

Enfin, il serait malvenu de vouloir faire du « modèle suisse » de partenariat social un produit d’exportation. Les pays concernés sont membres de l’UE ou candidats à l’adhésion, donc tenus d’en respecter les règles. Aucun modèle ne saurait être imposé ou suggéré aux parties prenantes. Il leur appartient de construire elles-mêmes des dispositifs de négociation et de règlements des différends qui répondent à leurs besoins spécifiques et aux exigences de l’UE. Cela en s’inspirant évidemment des normes internationales du travail édictées par l’Organisation internationale du Travail (OIT) que les partenaires sociaux et les gouvernements des PECO connaissent bien pour avoir bénéficié de son assistance technique tout au long de leur transition.

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

031 377 01 16

daniel.lampart(at)sgb.ch
Daniel Lampart
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