La Commission de l’économie reconnaît le problème des bas salaires en Suisse

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Écrit par Daniel Lampart, économiste en chef et premier secrétaire de l’USS/fq

L’initiative sur les salaires minimums au Parlement

La Commission de l’économie et des redevances du Conseil des États (CER-E) a demandé lundi dernier 8 avril au Conseil fédéral un rapport sur la façon de procéder pour améliorer la situation difficile des salarié(e)s à bas salaires. Une bonne chose pour les personnes concernées. Ce faisant, la CER-E donne aussi un carton jaune au gouvernement, car celui-ci, dans son message au sujet de l’initiative sur les salaires minimums, avait froidement contesté tout besoin d’agir dans ce domaine.

En Suisse, 430 000 personnes environ touchent un salaire mensuel inférieur à 4 000 francs en équivalent temps plein. Pour s’en sortir avec moins de 4 000 francs, il faut se retreindre très fortement et souvent, l’aide de tierces personnes, voire de l’aide sociale, s’avère nécessaire. Sur ces 430 000 personnes, plus de 140 000 ont fait un apprentissage. Dans notre pays a cours le principe selon lequel toute personne ayant fait un apprentissage doit gagner suffisamment pour pouvoir fonder une famille. Manifestement, les employeurs du commerce de détail et d’autres branches s’en affranchissent froidement. Comment motiver après cela les jeunes à faire un apprentissage ?

L’« excellent fonctionnement du partenariat social », dont parle le Conseil fédéral dans son message, apparaît de ce fait cynique. En réalité, nombre d’employeurs refusent de négocier des conventions collectives de travail (CCT) avec nous, les syndicats. Cela concerne aussi les branches à bas et très bas salaires, comme le commerce de détail de vêtements et de chaussures. Pour le président de l’Union suisse des marchands de chaussures, Dieter Spiess, une CCT serait même une « aberration », alors que beaucoup de vendeuses gagnent nettement moins de 4 000 francs dans sa propre branche... Ailleurs, comme dans les centres d’appels, les instituts de beauté, les centres de mise en forme, il n’y a même pas d’organisations patronales, avec qui conclure des CCT. Ces branches, nombreuses, sont en pleine croissance et les salaires y sont bas. Même dans le cas où des CCT ont été conclues, les quorums restrictifs à remplir pour en étendre le champ d’application ont régulièrement pour effet qu’une part appréciable de salarié(e)s se trouve privée de la protection d’une CCT. Exemple tout récent : la CCT genevoise du commerce de détail.

La loi fédérale permettant d’étendre le champ d’application de la convention collective de travail (LECCT) date de 1956. C’est très loin. Depuis lors, beaucoup de choses ont changé sur le marché du travail suisse. La part de l’emploi représentée par le secteur secondaire – où la couverture conventionnelle (par CCT) est traditionnellement la plus forte – a beaucoup diminué. Dans la construction, 60 % environ des salarié(e)s sont protégés par une CCT et 40 % dans l’industrie, mais ils sont seulement 30 % dans le secteur tertiaire (services). Les grandes entreprises ont délocalisé un grand nombre d’emplois dans d’autres branches (p. ex. le nettoyage, les cantines d’entreprise, les centres d’appels). L’internationalisation de l’économie a eu, quant à elle, pour effet que de nombreuses entreprises sont en mains étrangères ou dirigées par des cadres étrangers peu au fait du partenariat social suisse. Que les femmes exercent une activité lucrative va désormais de soi. Aujourd’hui, beaucoup d’entre elles subviennent elles-mêmes à leurs besoins. Le travail temporaire s’est fortement répandu, au point que, désormais, les employé(e)s d’une entreprise n’ont pas tous été engagés par le même employeur. « Last but not least » : l’ouverture du marché suisse du travail dans le cadre de la libre circulation des personnes, qui, en raison du niveau relativement élevé des salaires suisses et d’un chômage comparativement bas, représente un danger.

Contrairement à l’idéologie du gouvernement, la Suisse n’est en réalité pas une bonne élève en matière de partenariat social. Seule près de la moitié des salarié(e)s est protégée par une CCT. Nos syndicats ne peuvent pour l’heure que rêver des taux de couverture étrangers, comme ceux d’Autriche (99 %), de Belgique (96 %), de Suède (91 %), etc. Mais pareils taux de couverture conventionnelle ne tombent pas du ciel. Ils sont le résultat de la politique d’encouragement actif des CCT menée par les autorités. Dans les pays où la protection par des CCT est meilleure, la loi est moins restrictive, par exemple en ce qui concerne les quorums permettant d’étendre leur champ d’application. Ces lois sur les CCT sont fondamentalement plus modernes que la nôtre.

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

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