Fritz Leuthy : décès d’un éminent syndicaliste

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Écrit par Paul Rechsteiner

Hommage de Paul Rechsteiner

L’Union syndicale suisse a toujours su recruter des personnes d’exception. Fritz Leuthy en fait partie. Pendant des décennies, jusqu’à son départ à la retraite en 1991, il a marqué de son empreinte la politique des syndicats suisses. Sur le dossier phare des assurances sociales, mais aussi comme responsable du secrétariat de l’USS, où il a veillé d’une main ferme à la cohérence de la ligne politique. Et où il s’est efforcé de concilier les positions souvent divergentes des fédérations. Ce n’était pas une mince affaire alors, entre la FTMH, poids lourd aux idées plutôt conservatrices, et d’autres fédérations comme la VPOD (futur SSP), Typographia ou le SLP qui voulaient souvent foncer.

Fritz était employé de gare aux CFF de formation. Il est passé par l’École ouvrière durant les années où Max Weber, après avoir quitté le Conseil fédéral pour rejoindre le mouvement syndical, s’occupait d’éducation ouvrière. Dès 1960, Fritz Leuthy a lui-même travaillé à la Centrale suisse d’éducation ouvrière. Il a toujours excellé à rendre compréhensibles même les sujets les plus complexes. En 1970, il a été élu secrétaire de l’USS.

Dans les décennies suivantes on voit mal qui, professeurs compris, possédait une telle expertise des assurances sociales, de l’AVS notamment. Ce n’était pas un savoir académique mais un savoir concret, utile à l’élaboration et à la mise en œuvre de fructueuses stratégies syndicales. Et des outils pour la construction et le développement de l’Etat social, principal acquis national de la Suisse du 20e siècle. Les syndicats ont joué un rôle décisif sur ce plan.

Les mérites de Fritz Leuthy se sont surtout révélés dans la phase dynamique des années 1970. Notamment lors de la 8e révision de l’AVS. Les prestations de l’AVS ont alors largement doublé, moyennant une hausse substantielle des prélèvements salariaux. Ainsi seulement, l’AVS est devenue la base de la prévoyance professionnelle que nous connaissons aujourd’hui encore. C’est le conseiller fédéral Tschudi qui a enchaîné ces réformes politiques à un rythme rapide, devenu le « Tschudi-Tempo ». Or Hans Peter Tschudi agissait toujours en étroite concertation avec l’USS, à laquelle il était très lié. En l’occurrence avec Fritz Leuthy, qui brillait par sa compétence et son intégrité.

A sa façon, Fritz Leuthy a également marqué de son empreinte la 10e révision de l'AVS. Il a été, en quelque sorte, le père de l'importante revalorisation des revenus les plus bas dans le calcul de la rente. Des travaux préparatoires au message du Conseil fédéral, il avait d'abord semblé impossible de faire prévaloir son point de vue. Cependant, il est finalement parvenu durant le traitement parlementaire à faire adapter la formule de calcul. Ce changement, qui a rendu l'AVS plus sociale, porte d'ailleurs dans le jargon technique de l'AVS toujours son nom (en allemand "Leuthy-Knick").

À titre personnel, je n’ai fait plus ample connaissance avec Fritz Leuthy que dans les années 1990, à une époque où l’État social était en butte aux attaques de la droite et où la moindre avancée sociale donnait lieu à d’interminables bras de fer. Les échanges réguliers avec Fritz sur les développements importants et les questions stratégiques ont beaucoup compté à mes yeux, y compris durant mes années de présidence de l’USS. Il suivait de près les succès et les revers et maîtrisait parfaitement l’ensemble des enjeux.

Fumeur de cigares, Fritz Leuthy ressemblait par son apparence extérieure aux syndicalistes traditionnels de sa génération. Dans sa modestie naturelle, il ne cherchait pas à se faire remarquer des médias, mais à obtenir des résultats sur le terrain. Il savait pourtant aussi faire preuve d’ironie, s’intéressait aux nouveaux développements et était à l’écoute des jeunes générations.

Fritz Leuthy a contribué comme peu d’autres à son époque au développement d’une Suisse sociale. Son nom restera à tout jamais gravé dans l’histoire des syndicats suisses.

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

031 377 01 16

daniel.lampart(at)sgb.ch
Daniel Lampart
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