La peur a eu son temps. Maintenant, il faut de l’espoir, de la présence et de la lutte !

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Écrit par Pierre-Yves Maillard

L'allocution du 1er mai de Pierre-Yves Maillard, président de l'USS

Chéres et chers collègues,

Quel plaisir de vous revoir ! Quelle joie de retrouver nos places et nos rues et de montrer l’existence concrète et vivante du mouvement ouvrier suisse !

Nous sortons lentement et difficilement d’une triste période. Il y a eu les malades et les décès. Il y a eu la pression sur les homes, les hôpitaux et toute la première ligne de soins. Il y a eu le chômage, la destruction d’emplois et la baisse des revenus. Aujourd’hui encore, entre le chômage technique et le chômage, 560 mille personnes dépendent de l’assurance chômage pour vivre. Avant la crise c’était 5 fois moins ! Depuis des mois, dans nos aéroports, dans la gastronomie ou le tourisme, des centaines de milliers de familles doivent vivre avec 20% de revenu en moins.

Quels dégâts cette crise va-t-elle laisser derrière elle ? Comment les jeunes vont-ils retrouver le goût et la possibilité de se rencontrer et de vivre dans le monde réel et pas virtuel ? Comment vont-ils trouver leur chemin dans le monde du travail ? Comment nos travailleurs âgés mis récemment au chômage vont-ils pouvoir retrouver un emploi ?

Les doutes et les craintes pour l’avenir s’accumulent. Il y avait la crise climatique, il y a maintenant cette crise sanitaire dont la fin n’est pas clairement visible et qui pourrait revenir. Et il y a les risques géopolitiques qui s’accumulent.

La question est : comment agir dans ce contexte de peurs et de doutes ?

A cette question, il n’y a pas de réponse facile. Mais une chose au moins est certaine. Pendant les pandémies, la lutte pour les intérêts ne s’arrête pas. Ceux qui ont des intérêts et des profits à défendre ne se mettent pas en quarantaine. Et la médecine ne propose pas de vaccin contre l’injustice sociale qui se développe. C’est nous, le mouvement syndical, les forces du progrès social qui sommes le vaccin. Et si nous nous arrêtons de lutter, si nous ne bougeons et n’agissons plus, l’injustice, les inégalités vont exploser !

Selon l’OIT, plus de 255 millions d’emplois ont été supprimés en 2020 dans le monde. Des centaines de millions d’enfants ne vont plus à l’école, la scolarisation des filles a subi un recul massif, ce qui fait perdre des décennies de lutte contre les mariages précoces et forcés. Les inégalités de revenu explosent, dans le monde et en Suisse. L’épargne de tant de petits indépendants ou de salariés a été détruite, mais les profits, les gains boursiers, la spéculation, les bonus et l’orgie de dividendes n’ont pas fait de pause.

Pour guérir le monde de ces maux qui ont explosé, il faudra de l’action syndicale et politique. Ce premier mai où nous nous montrons, dans la prudence raisonnable, est indispensable à cette action.

Pendant la crise, l’USS a agi avec le plus d’engagement possible auprès des autorités pour limiter la casse sociale que cette crise a provoquée. Dans les milieux patronaux, dans l’administration et au Conseil fédéral, on croyait au début de cette crise que les stabilisateurs sociaux classiques suffiraient. Il était question de leur ajouter quelques dizaines de millions disponibles dans le budget 2020 du département de l’économie.

Nous avons dit que cela ne suffirait pas ! Nous avons proposé un plan, qui a été suivi dans les grandes lignes et qui prévoyait l’extension et l’assouplissement des règles du chômage technique et la création d’une nouvelle assurance perte de gains pour les indépendant. Ainsi, les personnes avec contrat de travail temporaire ou à durée déterminée ont pu être aidés. Et après des mois de tentatives infructueuses, nous avons enfin pu en décembre obtenir une petite amélioration de l’indemnisation RHT pour les bas revenus.

Nous nous sommes battus pour que la solution dite des « cas de rigueur » évolue vers une logique d’indemnisation des entreprises et des personnes interdites de travail. Les moyens prévus par le Conseil fédéral ont ainsi pu être décuplés. Nous avons travaillé, avec les acteurs concernés, à améliorer les aides dans le domaine de la culture.

Nos syndicats qui représentent les salariées et salariés dans les écoles, les crèches et le secteur de la santé ont eu le sens des responsabilités pour revendiquer les protections et les moyens d’action nécessaires. Mais ils ont compris la nécessité d’assurer la continuité du service public pour le bien des enfants et des patients. On peut être fiers de cette attitude et de cette action syndicale.

Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour réduire les dommages et aider notre pays à traverser cette épreuve. Mais aujourd’hui, il faut constater que cette action d’influence auprès des autorités ne suffit plus. Aujourd’hui, il faut que l’Etat comprenne qu’il doit enclencher la réparation des dégâts de cette crise. Sa responsabilité va plus loin que la seule lutte contre la circulation d’un virus et de ses variants. On parle de perte de pouvoir d’achat, mais ce concept est réducteur. Le pouvoir d’achat, c’est, pour le plus grand nombre, simplement, le pouvoir de vivre normalement et d’offrir à ses enfants un minimum de sécurité et de loisirs. C’est la bonne vie, avec sa part de joie et de légèreté.

Ce sont les moyens nécessaires à cette bonne vie qu’il faut donner à la population. Ils existent. Il y a cinq à six milliards d’argent en trop dans les caisses des caisses maladie. La pandémie a encore augmenté cet excédent. Donc il faut le rendre aux gens, simplement et rapidement. Cette mesure permettrait, sans endetter aucune collectivité publique de redonner 2000 francs d’un coup à une famille de 4 personnes, par exemple. On peut trouver que c’est peu, mais pour une famille ouvrière, ce serait une aide appréciée et bienvenue.

Il faut donner à nos jeunes des garanties qu’on ne les laissera pas tomber. Après les sacrifices qu’ils ont acceptés, il faut leur donner la sécurité de trouver une première formation ou un premier emploi. C’est possible si la Confédération, les cantons et les partenaires sociaux se mobilisent et dépassent quelques dogmes.

Nous avons obtenu que les chômeuses et chômeurs âgés en fin de droit aient droit dès 60 ans à une rente-pont. Dès juillet, cette nouvelle assurance sociale va entrer en vigueur. Il faudra s’assurer que les droits soient vite reconnus, sans bureaucratie et avec les moyens nécessaires. Et il faudra obtenir que les limites d’accès excessives fixées par la Parlement et le Conseil fédéral soient vite corrigées.

Il sera indispensable de relancer les secteurs sinistrés et de développer les stratégies durables pour les secteurs du tourisme, de la gastronomie, de la culture et du trafic aérien notamment.

Et nous devrons enfin obtenir les moyens de renforcer notre première ligne de soins. La logique du profit et de la concurrence dans le secteur de la santé est ruineuse et nous laisse démunis quand une crise sanitaire survient. A ce moment, on constate que tout fonctionne en flux tendu, qu’il n’y a pas de réserve de capacité. Les équipes déjà fatiguées et exposées doivent en faire encore plus. D’un autre côté, certains actes médicaux électifs, certains équipements techniques continuent de générer des profits et des rémunérations excessives. La première ligne de soins doit être renforcée, revalorisée, dans les salaires et conditions de travail, les effectifs et les infrastructures.

Voilà quelques exemples de ce que l’Etat, sur le plan national et cantonal, doit entreprendre dans les mois qui viennent. Le tournant social est la condition pour une sortie de crise durable et vivable pour toutes et tous. C’est le tournant social qui est d’actualité. C’est son heure dans l’histoire. Même les élites américaines l’ont compris. On ne peut précariser indéfiniment celles et ceux qui travaillent et produisent. On ne peut pas pousser la concurrence de tous contre tous sans limite. On ne peut pas laisser se creuser les inégalités jusqu’à l’obscénité !

Nous ne céderons pas un pouce de terrain à une énième prolongation da la logique libérale qui cherche encore et toujours à affaiblir notre modeste protection des salaires et nos services publics. Aux néolibéraux de tous les pays et de tous les partis nous disons ceci : entre une cure néolibérale imposée de l’extérieur ou imposée de l’intérieur, nous n’avons pas de préférence. Nous les combattrons l’une et l’autre. Et nous aurons la population qui travaille et qui produit avec nous !

Et nous combattrons avec la plus grande énergie la provocation faite à la grève des femmes, le plus grand mouvement social de notre pays depuis un siècle. Cette provocation inacceptable, c’est le relèvement de l’âge de la retraite des femmes ! Nous ne voulons pas de ce recul. Dans un pays dont la Banque nationale fait 38 milliards de profits en trois mois, on peut renoncer à creuser encore les inégalités de rentes entre femmes et hommes. Et on peut financer une 13ème rente AVS !

Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est le tournant social. Mais pour l’obtenir, nous devrons nous battre et nous mobiliser.

La peur a eu son temps. Maintenant, il faut de l’espoir, de la présence et de la lutte !

Nous allons essayer d’ouvrir cette période avec vous.

Alors merci d’être là, merci d’avoir gardé l’esprit syndical de solidarité et de combativité. Cet esprit est notre principale ressource, c’est notre force. Elle fera la différence entre un monde invivable et un monde juste et durable !

Merci d’être mobilisés aujourd’hui, merci pour votre attention et vive le 1er mai !

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

031 377 01 16

daniel.lampart(at)sgb.ch
Daniel Lampart
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