Urgentes et nécessaires, des réformes du 2e pilier doivent être entreprises dès maintenant

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Écrit par Colette Nova

1. Mettre fin aux abus et à l’arnaque des assureurs-vie

De manière générale, il est hautement problématique que dans un système d’épargne forcée comme le 2e pilier, des compagnies d’assurances privées, guidées par le profit, soient aussi actives aux côtés des caisses autonomes de pensions. C’est d’autant plus choquant que, sans les assureurs ou presque, tout fonctionne aussi bien[1]. Le but du 2e pilier n’est pas d’offrir un maximum d’affaires rentables aux assureurs ! Ceux-ci ont instrumentalisé à leur profit le 2e pilier, avec l’aide du Conseil fédéral et de l’autorité de surveillance. Cette entente fonctionne vis-à-vis de l’administration et du parlement comme celle des banques (UBS).

Parmi les objectifs de la 1ère révision de la LPP figurait aussi la transparence des activités des assureurs-vie dans le 2e pilier. Surtout, l’attribution des excédents devait être réglée et leur distribution devait se faire davantage en faveur des preneurs d’assurances. Le parlement a décidé que les assureurs pouvaient conserver 10 % des excédents. En association avec les assureurs-vie, la FINMA et le Conseil fédéral ont tout simplement court-circuité le parlement, en décidant sans autre forme de procès que les excédents désignaient la totalité des recettes[2]. Le « modèle économique » des assureurs est conçu pour que l’État leur garantisse des profits, bien qu’ils ne courent pratiquement aucun risque, puisque ce dernier peut être complètement transféré aux assuré(e)s et aux employeurs. Les profits réalisés sans risque dans les assurances sociales sont inacceptables ! Même la transparence laisse beaucoup à désirer : aucun bilan n’est publié et ce que l’on présente comme une comptabilité n’est compréhensible que par les spécialistes, mais pas par les assuré(e)s ni par les employeurs. Du côté des primes aussi, l’opacité est de mise et les primes de risque payées par les assuré(e)s et les employeurs sont largement surfaites.

Ces lacunes grossières doivent enfin être éliminées :

 

  • Les assureurs-vie doivent à l’avenir ne pouvoir conserver que 10 % au maximum des excédents figurant dans la comptabilité et non plus 10 % de l’ensemble des recettes. La « quote-part légale » doit donc revenir de la méthode de calcul « brute » ou « basée sur le rendement » à la méthode de calcul « nette » ou « basée sur le résultat » qui était prévue au départ. Il appartient donc au Conseil fédéral de modifier l’Ordonnance sur la surveillance des institutions d’assurance privées (OS) dans ce sens. L’actuelle réglementation est illégale, comme une analyse juridique de ses dispositions l’a indubitablement démontré[3].
  • Les « Fonds d’excédents » doivent être supprimés. Les assureurs doivent verser immédiatement et en totalité aux preneurs d’assurances leur participation aux excédents. De cette façon, ces sommes profiteront à ceux qui les ont financées. Et les assureurs ne pourront plus utiliser ces participations aux excédents, appartenant aux preneurs d’assurance, comme des « fonds propres », afin de couvrir leurs pertes. Lors de la liquidation des fonds d’excédents, la totalité des sommes s’y trouvant doit être répartie entre les preneurs de prévoyance, sans ponction aucune. Le Conseil fédéral doit modifier dans ce sens l’ordonnance correspondante (OS).
  • La FINMA doit enfin respecter la Loi sur la surveillance des assurances[4] et s’engager pour que les assureurs réduisent à un niveau indispensable les primes[5] pour les risques de décès et d’invalidité actuellement abusivement élevées. Les recettes provenant de ces primes sont aujourd’hui deux à quatre fois plus élevées que les frais liés à ces risques.
  • À l’avenir, les assureurs-vie devront établir de manière séparée, à l’intention des preneurs d’assurance et des assuré(e)s, les primes de risque et les primes de frais de gestion. Les assureurs ne doivent plus pouvoir dissimuler leurs coûts de gestion bien trop élevés dans les primes de risque. Ce n’est qu’ainsi qu’il y aura concurrence et que les assureurs seront poussés à rationaliser leur gestion. Cela aussi pourrait être appliqué par la FINMA.

2. La gestion paritaire concerne aussi les fondations collectives des assureurs-vie

La gestion paritaire des assuré(e)s, donc la participation à égalité de droits, est une des clés de voûte de la prévoyance professionnelle en Suisse. En partie, malheureusement, elle n’existe que sur le papier. Dans les institutions des assureurs-vie, les procédures de désignation et d’élection sont conçues de telle manière que seules les personnes triées sur le volet par les assureurs accèdent aux conseils de fondation. Par suite, des centaines de milliers d’assuré(e)s en sont pratiquement totalement exclus[6]. Très fréquemment, les contrats entre ces institutions et les assureurs sont très unilatéralement favorables aux intérêts des entreprises d’assurance. Pour pouvoir défier la puissance des assureurs, des personnes indépendantes sont indispensables.

Nous exigeons donc que les conseils de fondation des institutions collectives des assureurs-vie soient enfin réellement paritaires et indépendants de ces firmes. Les assureurs-vie ne doivent plus pouvoir manipuler à leur convenance la composition de ces instances.           

 

  • Des procédures électorales respectant les standards démocratiques minimaux sont nécessaires.
  • Tous les salarié(e)s assurés doivent pouvoir prendre part aux élections directes (droit de vote actif et passif).
  • Lors d’élections indirectes, il faut s’assurer que les « délégué(e)s » disposant du droit de vote pour l’élection de l’organe supérieur existent, qu’ils ont été eux-mêmes élus et possèdent donc une légitimité démocratique.
  • La charge de représentant(e)s des salarié(e)s ne peut être occupée que par des personnes sans fonction dirigeante dans l’entreprise (donc uniquement par des « véritables représentant(e)s des travailleurs »).
  • Une partie de la représentation du personnel est désignée par des organisations représentatives des salarié(e)s.

 

3. Meilleure protection des représentant(e)s des travailleurs, indépendance à l’égard de l’employeur

Les membres de l’organe dirigeant d’une institution de prévoyance doivent pouvoir s’engager sans retenue pour leur tâche. Dans de nombreux cas et en situation normale, cela ne pose pas de problèmes. Dans des situations de stress et de conflits, remplir sa fonction dans l’organe supérieur de l’institution de prévoyance peut devenir difficile pour les représentant(e)s du personnel, surtout (mais pas seulement) dans les caisses de pensions d’entreprise. Ils et elles doivent défendre les intérêts de l’institution de prévoyance et des destinataires, le cas échéant contre l’employeur aussi. Mais leur salaire, leur carrière et l’organisation de leur travail dépendent de l’employeur. Dans certaines circonstances, ils risquent même de perdre leur emploi en agissant dans l’intérêt de l’institution de prévoyance et des destinataires. Cette absence d’indépendance les empêche de remplir leur tâche comme on le leur demande et comme un fonctionnement conforme aux règles de la prévoyance professionnelle l’exige. Nous devons constamment faire face à des plaintes sur cette question.

La protection contre le licenciement des représentant(e)s des travailleurs doit donc être renforcée. Certes, un congé donné au motif d’une activité de membre du conseil de fondation peut être combattu parce qu’abusif[7]. Mais une protection absolue, au sens d’une interdiction de licencier n’existe pas, ce qui revient à fragiliser la situation du ou de la représentant(e) des travailleurs et, au-delà, à contredire finalement les principes de base d’une parité authentique[8]. Seul un renforcement de la protection contre le licenciement peut assurer l’indépendance des représentant(e)s des travailleurs et travailleuses vis-à-vis de l’employeur et par conséquent une véritable défense des intérêts de l’institution de prévoyance et de ses destinataires[9]. Une étude réalisée à la demande de l’Office fédéral des assurances sociales[10] recommande aussi une amélioration de la protection contre le licenciement.

4. Les banques et les autres gestionnaires de fortune doivent déclarer leurs taxes et autres frais de gestion de la fortune

Ces dernières semaines, on a critiqué le fait que les frais de gestion de la fortune mentionnés par les institutions de prévoyance n’étaient pas exhaustifs. C’est exact ; cepenant, cela ne relève pas de la négligence des institutions de prévoyance, mais de celle de tiers. Ceux-ci ne détaillent pas précisément les frais qu’ils demandent pour leurs activités en matière de produits de placement, se contentant de verser un rendement net. Un système qui leur permet d’exiger des frais trop élevés. Seules les grandes caisses de pensions ont un certain poids sur le marché en ce qui concerne les prix et la transparence, mais pas les autres. Les institutions de prévoyance ne peuvent faire complètement état des coûts des produits de placement que lorsque leurs partenaires commerciaux ont une pratique transparente à leur égard. Nous exigeons donc de la FINMA qu’elle mette enfin bon ordre à cela. Les banques et les autres gestionnaires de fortune qui agissent sous la surveillance de la FINMA doivent, à l’avenir, présenter avec transparence aux institutions de prévoyance les rendements bruts obtenus et l’ensemble des frais et taxes.


[1] La réassurance n’a de sens que là où une institution de prévoyance est trop petite pour assumer seule tous les risques actuariels. Sinon, elle revient bien trop cher. Les grandes fondations collectives des assureurs sont suffisamment étendues pour pouvoir supporter elles-mêmes les risques actuariels. Les « garanties » fournies par les assureurs ne sont pas gratuites. Ils veulent être très bien rétribués pour ce service. Selon les règles de l’Ordonnance sur la surveillance des institutions d’assurance privées, les assureurs peuvent, en cas de pertes ou de mauvaises affaires (Swisslife), transférer la quasi-totalité du risque sur les destinataires. Leur prévoyance en devient nettement plus chère que celle gérée de manière autonome. Les assureurs prétendent qu’en contrepartie, il n’existe pas de mesures d’assainissement. Même ceci n’est pas juste. En réalité, selon le Tribunal fédéral, les assureurs peuvent aussi recourir à des mesures d’assainissement, et cela avant même d’être en déficit de couverture. Les caisses autonomes ne peuvent le faire qu’une fois le déficit de couverture avéré (ATF 130 II p. 258 ss.). 

[2] Les produits des cotisations, des capitaux, mais aussi les bénéfices techniques (bénéfices de liquidation).

[3] Cette analyse correspond à l’état de la technique et à la pratique du Tribunal fédéral. La méthode appliquée est celle qu’apprennent les étudiant(e)s en droit dès leur première année. Elle peut être vérifiée dans n’importe quel manuel. Voir : Franco Saccone, « Participation aux excédents en matière de prévoyance professionnelle : légalité de la méthode de calcul basée sur le rendement ? », Schweizerische Zeitschrift für Sozialversicherung und berufliche Vorsorge 2009/1.

[4] Art. 46 al. 1 lit. f  LSA et art. 38 LSA : protection des assurés contre les abus des entreprises d’assurances.

[5] Ces primes sont actuellement deux à quatre fois supérieures aux frais. Cette différence permet un financement transversal du tout. Sans elle, les assureurs feraient moins de profits et il y aurait moins « d’excédents » (qui sont en retour utilisés abusivement par les assureurs en lieu et place de leur propre capital risque).

[6] Problèmes principaux :

 

  • Limitation du droit de vote actif ou passif aux personnes qui figurent dans les commissions de prévoyance des institutions de prévoyance (donc de chaque affilié, ou de chaque entreprise affiliée à une de ces institutions). Ces commissions n’existent souvent que sur le papier et ne sont élues démocratiquement que dans des cas rarissimes. La limitation du droit de vote à ces personnes est donc antidémocratique et celles qui sont élues manquent de légitimité démocratique.
  • Des représentant(e)s du personnel qui, en réalité, sont des représentant(e)s des employeurs, car ils occupent une fonction dirigeante dans l’entreprise. Une légitimité de principe fait défaut. Les assurances sont souvent vendues par paquet aux entreprises. Des conflits d’intérêts existent donc pour ces personnes.
  • Opacité des procédures de désignation, totalement dirigées en coulisse par les entreprises d’assurances.

[7] Selon l’art. 336, al. 2, litt. b du CO la résiliation du contrat de travail par l’employeur est abusive lorsqu’elle est donnée pendant que le travailleur, représentant élu des travailleurs, est membre d’une commission d’entreprise ou d’une institution liée à l’entreprise et que l’employeur ne peut prouver qu’il avait un motif justifié de résiliation.

[8] Hans-Ulrich Stauffer, Berufliche Vorsorge, Bâle/Genève 2005, Rz. 1382.

[9] Cette protection contre le licenciement doit être renforcée comme celle des membres des commissions d’entreprise, selon les dispositions de la convention n° 98 de l’OIT. Pour que la protection soit efficace, une invalidation du congé doit être possible.

[10] Bolliger, Christian et Rüefli, Christian : Umsetzung und Wirkung der Vorschriften über die paritätische Verwaltung. Forschungsbericht N° 7/09.

 

Responsable à l'USS

Gabriela Medici

Première secrétaire adjointe

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