Abaisser le taux technique coûte 15 milliards francs

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Écrit par Doris Bianchi

Prévoyance professionnelle

A fin septembre, la Chambre suisse des actuaires-conseils a fixé le taux d’intérêt de référence applicable au taux technique à 3 pour cent. C’est une erreur et c’est dangereux. Dangereux, parce qu’il faudrait ensuite injecter 15 milliards de francs dans la prévoyance professionnelle et que la confiance dans le deuxième pilier serait ainsi ébranlée. Et c’est une erreur, parce que les fondements de cette décision ne coïncident pas avec le comportement effectif des caisses de pension en matière de placements.

                    

Le rendement des capitaux jouent un rôle essentiel dans le financement des rentes des caisses de pension. Plusieurs taux d’intérêt revêtent une grande importance pour les personnes assurées. Alors que le taux d’intérêt minimal LPP est fixé tous les ans par le Conseil fédéral et voit braquer sur lui les projecteurs de l’actualité politique, le taux d’intérêt technique est en grande partie une valeur fixée par des moyens technocratiques. Il est déterminé uniquement au sein de commissions d’experts.

Le taux d’intérêt technique est une hypothèse de calcul qui sert à fixer les intérêts des rentes et prestations futures d’une caisse de pension. Il est ainsi possible de déterminer les engagements d’une caisse de pension. Le taux technique influence aussi le taux de conversion et les cotisations. Un taux technique en baisse entraîne pour les rentiers une augmentation de leur capital de prévoyance, et, pour les futurs rentiers, il provoque une diminution des rentes à cause de la baisse du taux de conversion.

La règle de base est la suivante : une réduction de 0,5 pour cent du taux d’intérêt technique entraîne une réduction du taux de conversion de quelque 0,35 pour cent et une augmentation du capital de prévoyance des rentiers de quelque 5 pour cent.

Baisse du taux d’intérêt technique : coûts élevés

En conséquence, toute baisse du taux technique induit des coûts élevés. Pour une caisse de pension qui détient une fortune de prévoyance de 1 milliard de francs, dans laquelle se trouvent 600 millions de francs des personnes actives et 400 millions de capital de prévoyance des bénéficiaires de rentes, la baisse du taux technique de 3,5 à 3% signifie une charge supplémentaire de 20 millions pour les rentiers. A cause de la baisse du taux de conversion, les futurs rentiers toucheraient en outre des rentes sensiblement diminuées. Des pertes de plus de 1000 francs par an seraient inévitables.

Selon le rapport de la commission de haute surveillance LPP sur la situation financière des institutions de prévoyance en 2012, sur les 1800 institutions de prévoyance sans garantie de l’Etat, plus d’un tiers présentait un taux d’intérêt technique supérieur à 3,5%. La proportion passait même à deux tiers pour les caisses au bénéfice de la garantie de l’Etat. La baisse générale du taux technique pour toutes ces institutions de prévoyance signifie qu’un montant approximatif de 15 milliards devra être injecté ces prochaines années dans la prévoyance professionnelle. L’ensemble du système de prévoyance professionnelle se trouvera ainsi déstabilisé et sa légitimité même continuera d’être mise en question.

Le taux d’intérêt de référence est étranger à la réalité

La Chambre suisse des actuaires-conseils n’a pas suffisamment pris en compte ces conséquences le jour où, à fin septembre, elle a fixé à 3 pour cent le nouveau taux d’intérêt de référence applicable au taux technique. Aux dires des actuaires-conseils, le taux technique des caisses de pension ne doit être supérieur à 3 pour cent que dans des cas exceptionnels dûment justifiés. Les actuaires-conseils ont pris cette décision en se fondant sur leur directive technique 4. Selon ce texte, le taux d’intérêt technique de référence se détermine à partir de la moyenne arithmétique pondérée à raison de 2/3 par la performance moyenne des 20 dernières années et à raison de 1/3 par le rendement des emprunts à 10 ans de la Confédération. En outre, on diminue encore le tout de 0,5% au titre de marge de sécurité. Le taux d’intérêt technique de référence correspond à une approche sans risque. Car il reflète au premier chef les rendements d’obligations suisses. Comme les emprunts de la Confédération n’ont pour ainsi dire pas dégagé de rendements ces dernières années, il n’est pas étonnant que le taux d’intérêt technique de référence baisse et continuera de baisser. Dans peu d’années, il faudra compter avec un taux de référence de 2,5%. Cependant, des indices montrent aujourd’hui déjà que la phase actuelle, caractérisée par des taux d’intérêt bas, est un phénomène provisoire qui ne peut pas sans autre forme de procès être pronostiqué pour les prochaines décennies. 

Pour le calcul des futurs taux d’intérêt techniques appropriés, les actuaires-conseils s’appuient sur une répartition des placements qui ne correspond en rien à celle des caisses de pension. Aucune caisse de pension ne place les trois quarts de sa fortune dans des obligations de la Confédération. Les caisses de pension pratiquent plutôt une large diversification. En moyenne, elles détiennent environ 30% d’actions et 20% de biens immobiliers. En conséquence, en 2012, la performance des caisses de pension, qui a dépassé 7%, a été très bonne. Pour 2013 aussi, il faut s’attendre à un bon résultat. 

Le deuxième pilier doit être plus qu’une assurance-vie privée

Le poids excessif donné aux obligations de la Confédération correspond plutôt à la stratégie de placement de compagnies d’assurance sur la vie. Or, si les données servant à évaluer les caisses de pension s’ajustent toujours plus à celles des assurances privées, la prévoyance professionnelle tend à perdre de son importance. Car se pose alors légitimement la question de la plus-value de la prévoyance professionnelle par rapport à une assurance sur la vie. La baisse du taux d’intérêt technique est toujours justifiée par la création de garanties supplémentaires. Au bout du compte, le bas niveau des taux d’intérêt techniques a cependant un effet déstabilisateur sur le système suisse de prévoyance vieillesse.

Fossoyeurs du deuxième pilier

Le pouvoir des actuaires-conseils dans la détermination du taux d’intérêt technique est considérable. Certes, il appartient au conseil de fondation, composé de manière paritaire, de déterminer le taux d’intérêt technique, mais celui-ci le fait sur recommandation des actuaires-conseils. S’opposer à la recommandation de ces experts est délicat. La loi oblige l’expert à annoncer à l’autorité de surveillance toute dérogation à sa recommandation. En cas de difficultés financières de la caisse de pension, les membres du conseil de fondation peuvent ainsi être tenus pour responsables en dernière extrémité. Il n’est dès lors pas surprenant que les membres du conseil de fondation suivent toujours les recommandations des actuaires-conseils. Cependant, garder un œil critique sur les recommandations de ces experts est plus que nécessaire.

En abaissant globalement à 3% et moins les taux d’intérêt techniques, les actuaires-conseils se font les fossoyeurs du deuxième pilier. La directive technique 4 de ces experts des caisses de pension, qui repose sur des hypothèses erronées, doit être révisée au plus vite. 

 

Responsable à l'USS

Gabriela Medici

Première secrétaire adjointe

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