Paul Rechsteiner
 

"100 ans de SUVA : jetons un regard sur le passé et un autre vers l’avenir"

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Écrit par Paul Rechsteiner

Discours de Paul Rechsteiner : 100 ans SUVA

La SUVA est née d’une extrême détresse. Le nombre des décès liés à l’activité professionnelle était, avec 1 000 personnes par an, 25 fois plus élevé qu’aujourd’hui proportionnellement au nombre des personnes actives. Une personne sur trois était victime d’un accident du travail. Pour celles qui étaient concernées, un décès ou un cas d’invalidité les faisait basculer, eux et/ou leurs familles, dans la misère. Aujourd’hui, ce n’est heureusement plus le cas. Un énorme progrès social.

À elle seule, la détresse sociale n’a pas modifié la manière de penser. Pour cela, il a fallu que le mouvement ouvrier organisé fasse pression pendant des décennies. Mais finalement, la création de la SUVA (Caisse nationale suisse en cas d’accidents, CNA) n’aurait pas été possible sans les entrepreneurs et des politiciens de droite dotés d’un sens aigu de leur responsabilité sociale. L’engagement de Ludwig Forrer, conseiller national PLR devenu ensuite conseiller fédéral, fut exceptionnel. C’est de lui qu’est la formule saillante : « Responsabilité est synonyme de conflit et assurance, de paix ».

Aujourd’hui, 100 ans plus tard, nous pouvons fêter ce qui est une histoire réussie, qui n’a pas été de soi. L’histoire de catastrophes, comme celles de Mattmark ou de l’amiante, nous rappelle aussi que leur gestion a été un processus controversé et douloureux. Ici, la SUVA a joué un rôle important, irremplaçable. Le risque d’accident fait partie des risques existentiels auxquels tout individu est exposé. La SUVA offre une assurance-accidents pour un rapport prix/prestations remarquable. Elle aide de manière exemplaire en cas de réadaptation. Et, par ses contrôles sur le terrain et la prévention, elle contribue substantiellement à la sécurité au travail. La chaussure de sécurité de la SUVA est un objet culte. Qu’il s’agisse de casques, de valeurs limites ou de sécurité des machines, chaque accident évité, chaque maladie professionnelle qui ne se déclare pas est quelque chose de particulièrement heureux pour les personnes concernées et leurs familles. Mais aussi pour les entreprises. Car les accidents et les maladies professionnels se révèlent coûteux. Le mélange de prévention, d’assurance et de réadaptation mis en place au fil de décennies est la clé du modèle de réussite qu’est la SUVA.

Lors de la séance constitutive de la SUVA, le 2 octobre 1912 à Lucerne, le conseiller fédéral Edmund Schulthess a dit, dans un discours visionnaire adressé aux membres du conseil d’administration, que leur tâche consistait à répondre aux espoirs des amis de l’institution et à se réconcilier avec ses opposants. Et qu’ils y parviendront surtout s’ils prouvent qu’une institution mise en place sur décision de l’État peut aussi avoir une action rationnelle et économique. Selon lui encore, pareille efficacité de la part du conseil d’administration, allant de pair avec une gestion conciliante des dommages, ne manquera pas de générer de la sympathie et de la reconnaissance dans tous les milieux. Il apparaît aujourd’hui que le Conseil fédéral a misé, avec le soutien du Parlement et du peuple, sur le bon cheval d’une entreprise de droit public avec participation directe des syndicats et des associations patronales. La gestion commune de la nouvelle institution par les partenaires sociaux, avec la Confédération dans le rôle de surveillante, était la clé de solutions efficaces et proches des diverses branches économiques. En des temps qui vécurent de grandes tensions sociales, et même une lutte des classes ouverte, la création de la SUVA a été une démarche courageuse, mais aussi novatrice.

Plus tard aussi, les représentant(e)s des travailleurs et travailleuses et les employeurs et employeuses sont toujours parvenus à mettre au premier plan leurs intérêts communs et à dépasser l’un ou l’autre blocage idéologique. La dernière fois, avec la révision, entrée en vigueur l’an dernier, de la loi sur l’assurance-accidents entamée au Palais fédéral sous de mauvais auspices. Le succès du deuxième essai montre de manière impressionnante à quel point la SUVA est acceptée et l’impact qu’ont les partenaires sociaux lorsqu’ils se montrent unis face aux institutions politiques.

La SUVA est en bonne santé et se porte mieux que d’autres assurances sociales ou non. Qu’il en aille ainsi est aussi à porter au crédit de ses collaborateurs et collaboratrices engagés et compétents qui s’identifient beaucoup à l’institution SUVA et à leur importante tâche.

Mais la SUVA, et surtout l’assurance-accidents, n’a pas le droit de s’endormir sur ses lauriers. Une assurance-accidents de qualité, telle est la condition pour que le progrès économique soit au rendez-vous à l’ère de l’industrie et des machines. La couverture sociale et le progrès économique ont marché main dans la main. Avec la numérisation, nous nous trouvons aujourd’hui, dans un contexte qui a changé, face à des défis semblables. Pensons par exemple ici à la problématique des maladies professionnelles psychosociales.

En tant qu’institution, la SUVA devra affronter les défis du piège stratégique que représente la révision de la loi de 1984. En 1984, le prix politique payé pour obtenir de grandes améliorations dans de nombreux domaines a été de limiter le domaine d’activité de la SUVA essentiellement au secteur industriel. Le secteur secondaire reste important pour la Suisse, mais personne ne peut refuser de voir qu’il occupe, aujourd’hui encore, 20 % des personnes professionnellement actives. En 1984, cette part était de 40 %. Une SUVA qui s’arme pour les 100 prochaines années doit accepter ce défi stratégique. Dans l’intérêt non seulement de l’économie industrielle avec ses risques d’accident spécifiques, mais aussi de toutes les personnes actives. Et finalement, de toute l’économie.

Déjà lors de la dernière révision de la loi sur l’assurance-accidents, les syndicats avaient essayé de convaincre politiquement les employeurs et employeuses et les politicien(ne)s de droite à l’esprit ouvert d’aborder ce problème. Il y aurait plusieurs options ici. Malheureusement, le courage a manqué pour ouvrir ce chapitre, bien que beaucoup nous donnent raison sur cette question. Dans les années à venir, ce courage sera cependant à nouveau requis, dans l’intérêt de solutions tournées vers l’avenir. Ici, nous pouvons nous orienter sur la clairvoyance de la génération des fondateurs de la SUVA, des conseillers fédéraux radicaux Forrer, Deucher et Schulthess. Face aux échecs et aux reculs, ils ne se sont pas laissé décourager dans la poursuite d’un but reconnu comme juste ; cela, jusqu’à ce que la percée fut possible.

Aujourd’hui, l’assurance-accidents et son institution centrale, la SUVA, est comme un phare dans le paysage des assurances sociales. Face aux risques jumeaux de l’accident et de la maladie, nous ne pouvons que rêver à de telles solutions. À la fin du 19e siècle et au début du 20e, la Suisse était un pays socialement progressiste. Aussi en comparaison internationale. Pensons à la création de l’Organisation internationale du Travail à Genève. Celle-ci aura 100 ans l’an prochain. Laissons-nous inspirer par cet esprit qui a permis que la SUVA soit possible. La Suisse a le droit d’en être fière.

 

(discurs traduit)

 

Responsable à l'USS

Daniel Lampart

Premier secrétaire et économiste en chef

031 377 01 16

daniel.lampart(at)sgb.ch
Daniel Lampart
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