Loi sur la formation continue : entre progrès et exercice alibi - Un projet grevé de nombreuses lacunes

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Écrit par Véronique Polito, secrétaire centrale de l’USS

Lorsqu’en novembre dernier, le Conseil fédéral a ouvert la procédure de consultation sur la nouvelle loi sur la formation continue, les syndicats n’étaient pas franchement enthousiastes. Et pourquoi ce manque d’enthousiasme, alors que la création de cette loi faisait partie des revendications syndicales ? Parce que l’avant-projet proposé ressemble plutôt à un exercice bureaucratique qui ne répond qu’insuffisamment aux défis auxquels la société et le monde du travail feront face à l’avenir.

Un processus qui traîne en longueur

C’est à une forte majorité qu’en 2006, la population suisse a dit oui à un nouvel article constitutionnel sur la formation continue. Le Conseil fédéral se voyait ainsi confié le mandat d’élaborer une nouvelle loi. Ce n’est qu’en 2010 toutefois qu’il chargeait une commission d’expert(e)s de mettre au point une loi-cadre appelée à « renforcer la responsabilité personnelle dans le domaine de l’apprentissage tout au long de la vie, améliorer l’égalité des chances au niveau de l’accès à la formation continue et assurer la cohérence dans la législation fédérale.[1] » La teneur de ce mandat et la composition de la commission suscita dès le départ un grand scepticisme de la part de l’Union syndicale suisse (USS). D’une part, le but visé, une « loi-cadre, sans mesures d’encouragement » indiquait clairement que le Conseil fédéral ne voulait pas mettre à disposition des moyens supplémentaires en faveur de la formation continue. D’autre part, le mandat de la commission d’expert(e)s, de même que sa composition, montrait que le projet de loi n’irait pas dans le sens d’une formation continue comprise comme une tâche de la société et visant à répondre aux besoins des individus. En lieu et place, la priorité était donnée à la fixation d’un cadre destiné aux mesures de la Confédération déjà existantes, par exemple dans le domaine de l’assurance-chômage. Par contre, les besoins des salarié(e)s qui financent eux-mêmes leur formation continue (avec la participation patronale, cela représente près de cinq milliards de francs par an) n’ont guère été pris en considération.

Et la montagne accoucha d’une souris

Ce long processus a abouti à l’actuel maigre avant-projet[2]. Cinq principes y sont affirmés : « responsabilité individuelle », « assurance et développement de la qualité », « prise en compte de la formation continue dans la formation formelle », « égalité des chances » et « concurrence ». Ces principes ne modifient pour ainsi dire en rien la situation actuelle, d’autant moins qu’ils ne sont pas liés à des mesures contraignantes au niveau fédéral ou cantonal. L’avant-projet accorde une grande importance à la responsabilité individuelle, mais ne propose aucune incitation concrète dans ce sens. On est ainsi en droit de se demander comment la loi va pouvoir atteindre son objectif, à savoir le renforcement de l’apprentissage tout au long de la vie.

L’avant-projet recèle même de graves dangers. L’introduction du principe de la concurrence, par exemple, pose en réalité plus de problèmes qu’il n’en résout. Si elles ne sont pas explicitement réglementées par une loi, les offres de formation continue proposées par des prestataires publics ou soutenus par l’État devraient être conformes aux prix du marché. Jamais il n’est fait mention à ce propos de la qualité et de la spécificité de l’offre, ni même des salaires et des conditions de travail ! Nous sommes donc en droit de nous demander en quoi cette loi devrait avoir un impact positif à long terme sur l’accessibilité et la qualité de la formation.

La formation continue : un bien collectif

Une nouvelle approche s’impose de toute urgence. Une loi qui mise primordialement sur la responsabilité individuelle et la régulation par le marché ressemble plutôt à un exercice alibi. La revalorisation de la formation continue dans le paysage de la formation ne pourra se faire que si la société dans son ensemble en assume la responsabilité. A priori, l’USS est favorable à une nouvelle loi. Mais elle demande que cette dernière ne relève pas uniquement – comme dans le présent avant-projet – de la responsabilité des individus. Les employeurs et l’État doivent aussi être mis à contribution ! Le droit à la formation continue doit enfin être inscrit au niveau de la loi. Cela peut se faire à travers l’introduction d’un congé payé de formation d’au moins une semaine par an. Mais des mesures ciblées sont également nécessaires pour simplifier de manière générale l’accès à la formation continue : informations et conseils seraient ici une importante contribution des cantons. Avec leurs centres d’orientation professionnelle, ils disposent déjà des structures nécessaires à cet effet. Il suffirait d’adapter leurs prestations aux adultes et de les rendre accessibles à des conditions avantageuses. L’USS soutient également avec force l’encouragement de l’acquisition et du maintien de compétences de base[3] pour les adultes, qui a été pris en considération dans l’avant-projet. Malheureusement, ce dernier ne prévoit pas de moyens financiers supplémentaires dans ce but ! Si des moyens financiers adaptés sont prévus et si les différents aspects relevés ici sont effectivement pris en compte, alors nous pourrons considérer cette loi comme un réel progrès.


[1]Communiqué de l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie du 25 février 2010 : « La Commission d’experts chargée de la loi sur la formation continue a été nommée ».

[3] Selon l’actuel avant-projet de loi, les compétences de base correspondent aux connaissances de base en matière de lecture et écriture, de mathématiques élémentaires, d’utilisation des technologies de l’information et de la communication ainsi qu’en matière de connaissances de base des principaux droits et devoirs.

Responsable à l'USS

Nicole Cornu

Secrétaire centrale

031 377 01 23

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