Arguments fallacieux et réalités

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Écrit par Véronique Polito, secrétaire centrale Dde l’USS, responsable de la formation

Le salaire minimum au secours de l’apprentissage

Grâce au salaire minimum légal, les salaires des professionnel(le)s ne pourront plus baisser au gré des patrons. L’apprentissage s’en trouvera revalorisé. En effet, contrairement à certaines assertions, 40 % des personnes qui touchent des bas salaires ont fait un apprentissage.

À en croire certains parlementaires, le salaire minimum serait une menace pour l’apprentissage : il démotiverait les jeunes à s’engager dans une formation professionnelle, le salaire d’apprenti(e)s étant moins attractif que le salaire minimum qu’ils pourraient soi-disant obtenir fraîchement sortis des bancs de l’école. Les auteurs de ces propos vivent bien loin des réalités de la jeunesse. Les quelques enquêtes existantes démontrent en effet que nos jeunes ont bien d’autres préoccupations à 15 ou 16 ans que de gagner leur vie immédiatement après leur scolarité. Ils souhaitent avant tout pouvoir exercer un métier qui leur plaise et leur garantisse une certaine stabilité économique. Chaque jeune est conscient aujourd’hui qu’un certificat ou un diplôme est devenu une exigence minimale pour faire sa place dans la société et mettre un pied dans le marché du travail. C’est pourquoi aucun n’envisage librement de travailler sans acquérir d’abord une formation.

Entrée sur le marché du travail retardée

Les études TREE, qui suivent la trajectoire des jeunes de 15 à 25 ans, confirment la tendance : les entrées sur le marché du travail directement après l’école se font toujours plus rares. C’est aussi la raison pour laquelle, malgré la forte demande des entreprises, la liste des jeunes en attente d’une place d’apprentissage ne désemplit guère d’année en année. En 2013, ils sont encore 16 000 à attendre de pouvoir enfin entamer une formation professionnelle. Les cantons se plaignent d’ailleurs du trop grand succès des mesures de transition après l’école : entre 1990 et 2010, le nombre de jeunes en transition a pratiquement doublé, tandis que celui des élèves n’a augmenté que de 25 %. Durant cette même période, on enregistre une forte augmentation de la part des jeunes qui, à 18 ans, sont toujours en formation. Ainsi, en 2011, on estimait que la part des jeunes de 15 à 19 ans déjà entrés sur le marché du travail n’était que de 4 % ! Un succès en votation de l’initiative sur les salaires minimums ne renverserait pas cette tendance : demain, les jeunes continueront à prolonger leur formation et à repousser leur entrée sur le marché du travail.

Aujourd’hui, l’apprentissage ne protège plus du besoin

Plutôt que de voir la paille dans l’œil des initiants, les pseudo-défenseurs de l’apprentissage devraient commencer à apercevoir la poutre qui se trouve dans le leur. Parce que si l’apprentissage est aujourd’hui effectivement en danger, ce n’est pas dû au « diktat des salaires », mais à des mécanismes de protection inexistants ou partiellement dépassés. Sinon, comment expliquer aujourd’hui que, dans un pays où l’on met l’apprentissage sur un piédestal, plus d’un tiers des personnes touchant moins de 4 000 francs ont précisément obtenu un certificat fédéral de capacité (CFC) ? Comment justifier qu’un jardinier-paysagiste, une aide-soignante, un musicien, une vendeuse, une coiffeuse, un chauffeur ou même un mécanicien, dûment qualifiés, puissent toucher des années durant un salaire si bas qu’ils ne sont pas en mesure d’assurer l’entretien d’une famille ? Aujourd’hui, plus de 10 % des professionnel(le)s titulaires d’un CFC ont un bas salaire. En quelques années, leur situation s’est aggravée : entre 2002 et 2010, leur rémunération a en effet perdu de sa valeur réelle, alors que les gains de productivité ont dépassé 6 %. Ce sont avant tout les cadres supérieurs diplômés des universités qui ont profité de la croissance, leur salaire ayant pris l’ascenseur.

Le salaire minimum pour sauvegarder nos métiers

À ce jour, seuls 40 % des salarié(e)s sont protégés par une CCT qui fixe des salaires minimums. Cela signifie que 60 % ne bénéficient d’aucune protection. Ce qui était encore tenable il y a 15 ans, ne l’est plus aujourd’hui. L’ouverture des frontières et le niveau de qualifications élevé des travailleurs et travailleuses européens mettent les professionnel(le)s suisses sous pression. Le positionnement de la formation professionnelle inquiète toujours plus les petits patrons. Car ce ne sont pas seulement les CFC, mais également les brevets et diplômes professionnels, qui perdent peu à peu de leur valeur sur un marché du travail qui s’internationalise.

C’est dans ce contexte que les grandes organisations patronales partent en croisade contre les salaires décents. Les mêmes qui s’opposent au « diktat des salaires », n’ont hélas souvent que faire du partenariat social et n’hésitent pas à recruter le personnel déjà bien formé à l’étranger. En déposant une initiative pour un salaire minimum légal, les syndicats, eux, n’ont pas dévié d’un pouce de leur objectif premier, à savoir la protection des conditions de travail et des salaires. En empêchant un effondrement vers le bas, le salaire minimum légal revalorise les métiers qualifiés aujourd’hui déjà sous-payés. Ce verrou permettra à terme également de stopper le recul des salaires des titulaires d’un CFC qui sont toujours plus sous pression suite à la libre-circulation des personnes. C’est donc en votant oui à l’initiative sur le salaire minimum que nous donnerons une perspective aux jeunes. Car c’est en garantissant un salaire décent à nos professionnel(le)s, que l’on offre un avenir à notre apprentissage.

Responsable à l'USS

Nicole Cornu

Secrétaire centrale

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