Le libre-échange a besoin d’une nouvelle orientation

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Écrit par Daniel Lampart et Vasco Pedrina

Des garanties sociales et démocratiques sont nécessaires

En soi, le libre-échange n'est pas une mauvaise chose. Mais ceux qui le promeuvent ont, dans un passé très récent, négligé de manière tout à fait impardonnable de penser protection sociale et compensation des inégalités sociales. Outre plus de transparence et un dialogue constant avec la société civile, tout développement du libre-échange nécessite aussi que des mesures d'accompagnement soient décidées pour apporter des garanties aux plans social et démocratique.

TTP, TTIP, CETA, TISA : le nombre des accords de libre-échange (ALE) récemment conclus (Partenariat transpacifique, TTP) ou en cours de négociation a fortement augmenté. De même que l'opposition aux méga-ALE. Le protectionnisme et le retour dans le " réduit national " sont toujours plus demandés. Telle est la facture pour la mondialisation antisociale à laquelle nous avons assisté ces dernières décennies et dont les grands groupes et les riches ont énormément profité. Les bouleversements insuffisamment encadrés que la mondialisation a entraînés sur les marchés du travail, le creusement toujours plus grand des inégalités de revenus et les attaques dirigées contre les processus démocratiques ne seront pas acceptés sans autre.

Qui plus est, ces méga-ALE formulent des exigences globales. Autrefois, le libre-échange, c'était la libéralisation du commerce des biens. Aujourd'hui, il est surtout question de libéraliser les services financiers et publics, comme les énergies, les marchés publics ainsi que les investissements transfrontaliers. Les autres thèmes centraux sont la protection des brevets et les questions de nature réglementaire, comme les procédures de conciliation en cas de conflits lors de décisions en matière d'investissement. Or tout cela revêt une très grande importance pour les collectivités.

Plus de transparence et dialogue avec la société civile

En soi, le libre-échange n'est pas une mauvaise chose. Pour une économie ouverte comme celle de la Suisse et pour un monde économique toujours plus interconnecté, il représente même une évolution logique, susceptible d'améliorer le bien-être des gens. Mais un libre-échange sans protection sociale ni compensation des inégalités crée beaucoup de perdants et nuit à notre société. Le libre-échange peut sans problème être compatible avec des exigences sociales, écologiques et relevant des droits humains, ainsi qu'avec la démocratie. Mais pour que cela ait lieu, il faut changer d'orientation. Et le protectionnisme n'offre aucune perspective ici. La bonne solution de rechange réside dans un commerce international juste, dont la majorité profite et qui ne laisse pas les perdants sur le carreau.

Il faut d'abord plus de transparence et de dialogue avec la société civile ; cela, dès le début des négociations de tels ALE et pendant tout le temps qu'elles durent. Sinon, la confiance n'est pas au rendez-vous.

Un premier pas, certes trop pusillanime, a été fait

La nouvelle génération d'ALE contient toujours plus de dispositions sur le respect des droits humains et des normes sociales ainsi qu'écologiques. Elles sont souvent fixées dans un chapitre séparé. C'est précisément là un progrès. Mais le problème est leur manque de précision, leur caractère trop peu impératif et l'absence de possibilités de sanction. La plupart du temps, une vraie mise en œuvre (via un monitorage) fait aussi défaut. Avec le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement) par exemple, il est question du respect des normes fondamentales de l'OIT (Organisation internationale du Travail) dans le domaine social. Mais, contrairement à l'Union européenne (UE), les États-Unis n'ont ratifié que 2 de ces 8 normes.

En outre, les tribunaux d'arbitrage internationaux privés, comme l'" Investor-state dispute settlement (ISDS) " (mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États) peuvent remettre en question, en faveur de grands groupes, des normes sociales et environnementales démocratiquement légitimées. Dans les négociations sur le TTIP et dans le cadre des processus de ratification en cours de l'Accord économique et commercial global, AECG avec le Canada (CETA), l'UE a, grâce à la pression publique exercée par les syndicats et la société civile, désormais pris en considération, comme solution de rechange, la création d'un tribunal de commerce international public. C'est là certainement un pas dans la bonne direction mais des garde-fous supplémentaires sont nécessaires pour que les expériences négatives faites par le passé ne se répètent pas.

Pas de " listes négatives "

Pour les services publics, les " listes négatives " prévues dans les nouveaux ALE représentent un des dangers les plus grands. Autrefois, on travaillait avec des " listes positives ". On se limitait en effet à libéraliser uniquement les domaines explicitement mentionnées dans les ALE. Aujourd'hui, c'est l'inverse qui a lieu avec le TTIP et l'AECG. Les domaines qui ne sont pas explicitement cités et exclus sont soumis dans leur totalité aux règles des nouveaux ALE. Prenons un exemple : par bonheur, l'assurance-accidents allemande exige du gouvernement qu'elle soit explicitement exclue du TTIP. Sinon elle serait, sous la pression des grands groupes d'assurance américains, menacée de privatisation !

Dans ce nouveau contexte, il est clair pour les syndicats que toute libéralisation ou privatisation à venir devra pouvoir être annulée dans le cadre des procédures démocratiques en vigueur. Sinon, conclure des ALE reviendrait à jeter la démocratie par-dessus bord.

Nous sommes absolument persuadés que sans mesures d'accompagnement destinées à apporter des garanties aux plans social et démocratique, les échanges économiques internationaux ne seront plus acceptés par la population comme ils ont besoin de l'être. Le temps presse !

Responsable à l'USS

David Gallusser

Secrétaire central

031 377 01 18

david.gallusser(at)sgb.ch
David Gallusser
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